Une victime de préjudices corporels n’est pas tenue de présenter, au cours d’une seule instance, toutes les demandes fondées sur le dommage qu’elle a subi
Le 9 décembre 1998, une jeune fille, alors âgée de 3 ans, a été blessée dans une station de lavage exploitée par une société, assurée par la compagnie GENERALI IARD.
La situation de handicap de la victime a notamment justifié l’utilisation et le renouvellement de prothèses.
Par arrêt en date du 9 février 2006, la Cour d’Appel de LYON a liquidé une partie des préjudices subis par cette victime.
Par la suite, devenue majeure, elle a assigné la société GENERALI IARD, en présence des tiers payeurs, afin d’obtenir l’indemnisation de ses frais de prothèses futures, pour la période postérieure à la fin de sa puberté.
Toutefois, par arrêt en date du 5 janvier 2021, la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a déclaré ses demandes irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée le 9 février 2006 par la Cour d’Appel de LYON.
Pour ce faire, la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE constate que la Cour d’Appel de LYON a chiffré les dommages de la victime, alors enfant, en se fondant sur le rapport d’expertise judiciaire du 25 juin 2002 qui précisait qu’au moment de son examen, son état était stabilisé sur le plan de l’appareillage, mais qu’il serait nécessaire de la réexaminer à deux reprises, une première fois au début de sa puberté, et une seconde fois à la fin de cette dernière.
La Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE constate ensuite que les frais de prothèse dont la victime demande la réparation, dans le cadre de la présente instance, sont les frais de prothèses futures pour la période postérieure à la fin de la puberté.
Elle ajoute que ces frais ne pouvaient pas être déterminés au jour de l’établissement du rapport d’expertise pris en compte par l’arrêt de la Cour d’Appel de LYON et retient qu’ils n’ont donc pas pu être indemnisés par cette décision.
La Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE considère toutefois que le représentant légal de la victime mineure était tenu de présenter, lors de l’instance devant la Cour d’Appel de LYON, toutes les demandes tendant à l’indemnisation des divers postes du préjudice corporel de la victime et qu’il devait, lorsque ces postes étaient certains, mais futurs et non encore précisément chiffrables, solliciter qu’ils soient réservés.
La Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE déduit de l’absence de réserve formulée par le représentant légal de la victime mineure quant aux frais prothétiques futurs, que les frais d’appareillage doivent être réputés avoir été liquidés d’une manière définitive par la Cour d’Appel de LYON.
La victime, devenue majeure, s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.
Or, par arrêt en date du 15 décembre 2022 (Cour de cassation, Civile 2ème, 15 décembre 2022, Pourvoi n°21-16007), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par la victime et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE.
Comme le rappelle la Cour de cassation au visa de l’article 1355 du Code civil, s’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, il n’est pas tenu, en revanche, de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.
Selon la Cour de cassation, les frais de prothèses futures, pour la période postérieure à la puberté, n’avaient pas été pris en compte par l’arrêt de la Cour d’Appel de LYON.
Par ailleurs, la victime, sans être contrainte de faire réserver ses droits, n’était pas tenue de présenter, au cours de la première instance, toutes les demandes fondées sur le dommage qu’elle avait subi.
Par conséquent, si un poste de préjudice n’a pas été indemnisé au cours d’une première instance, il peut parfaitement être réparé au cours d’une seconde instance et ce, même s’il n’a pas été mis en réserve initialement par la victime.