Rupture de prothèse et articulation des régimes de responsabilité du producteur et du chirurgien libéral

Actualité Tondu Avocat Rupture de prothèse et articulation des régimes de responsabilité du producteur et du chirurgien libéral
Publié le 6/06/20

Après la pose de deux prothèses de hanche droite et gauche, réalisée respectivement les 15 octobre 2004 et 4 mai 2005 par un chirurgien exerçant son activité à titre libéral, le patient a été victime, le 19 mars 2007, soit seulement trois ans après les interventions chirurgicales, d’une chute liée à un dérobement de sa jambe droite, lui-même consécutif à une rupture de sa prothèse de hanche droite.

Le chirurgien libéral a procédé au changement de la tige fémoral de la prothèse.

Ayant conservé des séquelles de sa chute, le patient a sollicité l’organisation d’une expertise judiciaire.

Sur la base du rapport de l’Expert Judiciaire, le patient a alors assigné en responsabilité et indemnisation, d’une part le chirurgien libéral ayant posé les prothèses et, d’autre part le producteur ayant fourni la prothèse litigieuse et ce, aux côtés de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Yvelines.

Par arrêt en date du 4 octobre 2018, la Cour d’Appel de VERSAILLES a déclaré la société productrice de la prothèse entièrement responsable des préjudices subis par la victime ; a contrario, l’ensemble des demandes dirigées par le patient à l’encontre du chirurgien libéral ont été rejetées en l’absence de preuve d’une faute de sa part.

Tant le producteur de la prothèse défectueuse que le patient se sont pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.

S’agissant du producteur de la prothèse, celui-ci soutenait notamment, aux termes de son pourvoi, que la preuve du caractère défectueux de la prothèse n’était pas rapportée ; la simple rupture de la prothèse ne suffirait pas à établir sa défectuosité selon lui.

De plus, le producteur de la prothèse insistait également sur l’obésité dont était victime le patient, son poids pouvant expliquer « la rupture de fatigue de l’implant ».

S’agissant du patient, celui-ci faisait grief à la Cour d’Appel de VERSAILLES de rejeter l’ensemble de ses demandes à l’encontre du chirurgien libéral alors « que la responsabilité d’un médecin est encourue de plein droit en raison du défaut d’un produit de santé qu’il implante à son patient » en application des dispositions de l’article L.1142-1 I du Code de la Santé Publique.

La Cour d’Appel de VERSAILLES aurait donc dû, selon le patient, condamner in solidum le producteur de la prothèse et le chirurgien libéral l’ayant posée à réparer l’intégralité de ses préjudices.

Par arrêt en date du 26 février 2020 (Cour de cassation, Civile 1ère, 26 février 2020, Pourvoi n°18-26256), la Cour de cassation a rejeté non seulement le pourvoi formé par le producteur de la prothèse mais aussi celui formé par le patient, confirmant ainsi l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de VERSAILLES.

  1. Sur la confirmation de la condamnation du producteur de la prothèse :

Les articles 1245 et suivants du Code civil (Anciennement 1386-1 et suivants) encadrent le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Ce régime, qui a pour origine une directive européenne du 25 juillet 1985, n’a été transposé en France que par une loi du 19 mai 1998, soit avec plus de 10 années de retard.

Comme le rappelle l’article 1245 du Code civil :

« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».

Ainsi, comme pour les accidents de la circulation, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux échappe à la classification traditionnelle opposant responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle.

1)      Les conditions d’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux :

En application des articles 1245 et suivants du Code civil, quatre conditions sont nécessaires pour qu’une victime puisse être indemnisée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, à savoir : 

  • La preuve de la mise en circulation d’un produit défectueux ;
  • L’existence d’un producteur ;
  • L’existence d’un dommage réparable ;
  • L’existence d’un lien de causalité ;

S’agissant de la mise en circulation du produit défectueux, l’article 1245-2 du Code civil précise que :

« Est un produit tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche.

L’électricité est considéré comme un produit ».

Le Code civil retient donc une définition large de la notion de produit.

Par ailleurs, doit être qualifié de défectueux, le produit « qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (Article 1245-3 du Code civil).

Il ressort de cette disposition que le caractère défectueux d’un produit doit être apprécié in abstracto, par référence à la sécurité à laquelle le public en général peut s’attendre. Pour apprécier cette sécurité, il doit être tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment de la présentation du produit (Ex : l’insuffisance d’informations et de mises en gardes relatives à l’utilisation du produit), de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation

Le Code civil précise également que le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou des normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation administrative (Article 1245-9 du Code civil).

Enfin, l’article 1245-4 du Code civil dispose que :

« Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement.

Un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ».

La mise en circulation correspond donc à la commercialisation ou à la mise sur le marché d’un produit.

S’agissant de l’existence d’un producteur, l’article 1245-5 du Code civil rappelle que :

« Est producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante ».

Dans l’hypothèse où l’identité du producteur demeure inconnue, le fournisseur peut voir sa responsabilité engagée en lieu et place du producteur.

Néanmoins, la mise en cause de la responsabilité du fournisseur n’est possible qu’à la condition que ce dernier ne communique pas dans le délai de trois mois à compter de la demande de la victime, l’identité de son propre fournisseur ou du producteur (Article 1245-6 du Code civil).

Le cas échéant, le fournisseur pourra ensuite se retourner contre le producteur pour obtenir le remboursement des sommes versées à la victime à condition qu’il agisse dans l’année suivant la date de sa citation en justice.

S’agissant du dommage indemnisable, l’article 1245-1 du Code civil rappelle que :

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne.

Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ».

En application des dispositions précitées, les dommages indemnisables sont les dommages à la personne et les dommages aux biens, à deux exceptions. Tout d’abord, ne sont pas indemnisables en application de ces dispositions les dommages causés au produit défectueux lui-même. Ensuite, pour être indemnisés, les dommages aux biens doivent être supérieurs à un montant déterminé par décret. Les dommages aux biens d’un faible montant échapperont donc au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Enfin, pour être indemnisée, la victime doit rapporter la preuve du lien de causalité entre le défaut du produit et son dommage (Article 1245-8 du Code civil).

En l’espèce, dans l’affaire litigieuse, la commercialisation du produit, l’identité du producteur et les préjudices en lien avec la chute n’étaient pas contestés ; en revanche, le producteur tentait de contester le caractère défectueux de la prothèse et soutenait que la rupture était imputable au seul surpoids du patient.

Or, aux termes de son arrêt en date du 26 février 2020 (Cour de cassation, Civile 1ère, 26 février 2020, Pourvoi n°18-26256), la Cour de cassation a rejeté l’argumentation formulée par le producteur et confirmé le caractère défectueux de celle-ci, à l’origine des préjudices subis par la victime.

Comme le précise la Cour de cassation :

« la rupture de la prothèse a provoqué la chute de M. H…, que cette rupture n’est pas imputable au surpoids de ce dernier, qu’aucune erreur n’a été commise dans le choix et la conception de la prothèse ni lors de sa pose et que le point de fracture se situe à la base, dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche ».

Elle ajoute que, selon l’Expert Judiciaire :

« la tige fémorale posée le 15 octobre 2004 ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre ».

Enfin, la Cour de cassation expose que :

« la rupture prématurée était due à sa défectuosité, de sorte que se trouve engée la responsabilité de droit du producteur ».

En réalité, l’élément déterminant ayant permis, en l’espèce, de caractériser la défectuosité de la prothèse de hanche litigieuse est la prématurité de la rupture de celle-ci ; à peine trois ans se sont écoulés entre la pose et la rupture de celle-ci, démontrant ainsi l’absence de sécurité à laquelle le patient pouvait légitimement s’attendre.

2)      Les causes d’exonération du producteur :

Deux types de causes d’exonération peuvent être invoqués par le producteur pour tenter d’échapper à sa responsabilité : des causes d’exonération de droit commun et des causes d’exonération spécifiques à la responsabilité du fait des produits défectueux.

Tout d’abord, même si elle n’est pas visée expressément par les dispositions encadrant le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la force majeure constitue une cause d’exonération pour le producteur, à charge pour lui de démontrer l’existence d’un fait extérieur, imprévisible et irrésistible.

S’agissant de la faute de la victime, l’article 1245-12 du Code civil précise que :

« La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ».

La faute de la victime peut donc être, soit partiellement, soit totalement exonératoire de responsabilité pour le producteur, suivant les circonstances de l’espèce.

En revanche, le fait d’un tiers n’est pas une cause d’exonération de responsabilité pour le producteur (Article 1245-13 du Code civil).

Ensuite, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux prévoit des causes spécifiques d’exonération pour le producteur.

En effet, l’article 1245-10 du Code civil dispose que :

« Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve :

1° Qu’il n’avait pas mis le produit en circulation ;

2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3° Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;

4° Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ;

5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.

Le producteur de la partie composante n’est pas non plus responsable s’il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit
 ».

La principale cause d’exonération pouvant être alléguée par le producteur est le risque de développement.

Pour échapper à sa responsabilité, le producteur peut tenter de démontrer que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut.

Toutefois, cette cause d’exonération connaît une limite, prévue à l’article 1245-11 du Code civil. Cette cause d’exonération ne peut en effet être invoquée lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci. Cette exception vise principalement l’hypothèse du SIDA d’origine transfusionnelle.

En l’espèce, aucune cause exonératoire de responsabilité ne pouvait être invoquée par le producteur de la prothèse défectueuse, raison pour laquelle il a été condamné à réparer l’intégralité des préjudices subis par la victime.

Le producteur de la prothèse sera donc seul tenu d’indemniser l’ensemble des préjudices subis par la victime dès lors que la responsabilité du chirurgien libéral ayant posé la prothèse litigieuse a, elle, été écartée en l’absence de faute de sa part.

  1. Sur la confirmation de l’absence de responsabilité du chirurgien libéral :

Comme le rappelle l’article L.1142-1 I du Code de la Santé Publique :

« Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».

En application des dispositions précitées, la responsabilité des professionnels et des établissements de santé ne peut être recherchée qu’en cas de faute de leur part lors de la réalisation d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé ».

Sur le fondement de ces dispositions, le patient victime faisait donc grief à la Cour d’Appel de VERSAILLES d’avoir rejeté ses demandes indemnitaires à l’encontre du chirurgien libéral ayant posé la prothèse défectueuse « alors que la responsabilité d’un médecin est encourue de plein droit en raison du défaut d’un produit de santé qu’il implante à son patient ».

Selon le patient victime, la Cour d’Appel de VERSAILLES ne pouvait donc pas écarter la responsabilité du praticien, en l’absence de faute de sa part.

Or, aux termes de son arrêt en date du 26 février 2020 (Cour de cassation, Civile 1ère, 26 février 2020, Pourvoi n°18-26256), la Cour de cassation rappelle que :

« Cette exception au principe d’une responsabilité pour faute est liée au régime de responsabilité du fait des produits défectueux instauré par la loi n°98-389 du 19 mai 1998 ayant transposé aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus articles 1245 à 1247 du code civil, la directive CEE n°85/374 du 25 juillet 1985 qui, tout en prévoyant une responsabilité de droit du producteur au titre du défaut du produit, avait initialement étendu cette responsabilité au fournisseur professionnelle. Mais à l’issue de décisions de la Cour de justice des Communautés européennes au titre de cette extension (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, Commission c/ France, n°C-52/00 et CJCE, arrêt du 14 mars 2006, Commission c/ France, n° C-177/04) et après l’adoption des lois n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 et n° 2006-406 du 5 avril 2006, l’article 1386-7, devenu 1245-6 du code civil, énonce que, si le producteur ne peut être identifié, le fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée ».

Il résulte des éléments précités que la responsabilité de plein droit d’un professionnel ou d’un établissement de santé, en raison du défaut d’un produit de santé qu’il implante à son patient, ne peut être engagée, sur le fondement des dispositions de l’article L.1142-1 I du Code de la Santé Publique, que dans le cas où le producteur n’a pu être identifié et où le professionnel de santé ou l’établissement de santé n’a pas désigné son propre fournisseur ou le producteur dans le délai imparti.

Ce n’est que dans le cas où le producteur de la prothèse défectueuse ne serait pas identifié, et dans le cas où il n’aurait pas désigné son propre fournisseur ou le producteur de la prothèse dans le délai qui lui est imparti, que le professionnel de santé pourra être responsable de plein droit 

Dès lors que le producteur de la prothèse défectueuse est connu, la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé ne peut être engagée qu’en cas de faute prouvée à son encontre.

Or, en l’espèce, le chirurgien libéral ayant implanté la prothèse défectueuse n’a commis aucune faute à l’origine de sa rupture.

Par conséquent, il ne saurait être tenu d’indemniser le patient victime.

Ce dernier verra donc l’intégralité de ses préjudices indemnisés par le seul producteur de la prothèse défectueuse.

Enfin, il convient de noter, comme elle le souligne elle-même dans son arrêt,  qu’il existe, à ce-jour, une divergence de solutions entre la Cour de cassation s’agissant des professionnels et établissements de santé privés et le Conseil d’Etat s’agissant des établissements publics de santé, la Haute Juridiction administrative maintenant « le régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier (CE, 12 mars 2012, CHU Besançon, n°327449) » et l’ayant « étendu au cas dans lequel ce service implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d’un patient, tel qu’une prothèse (CE, section, 25 juillet 2013, M. Falempin, n°339922) ».

En effet, un établissement public de santé peut toujours, à ce-jour, être condamné pour la pose non fautive d’une prothèse défectueuse alors même que le producteur de celle-ci est identifié.

Il semblerait donc opportun qu’une harmonisation des solutions intervienne entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation afin d’assurer une égalité de traitement entre les usagers du système de santé.

Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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