Responsabilité du notaire et obligation de conseil
Lorsqu’un notaire commet une faute dans l’exercice de ses fonctions, sa responsabilité civile est susceptible d’être recherchée sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382 du Code civil).
Pour ce faire, il appartient, en principe, au demandeur de rapporter la preuve de l’ensemble des conditions habituelles de la responsabilité civile délictuelle, à savoir l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité.
Au fil de sa jurisprudence, la Cour de cassation a mis à la charge des notaires un véritable devoir de conseil envers leurs clients et non une simple obligation d’information.
En exécution de ce devoir de conseil, le notaire est tenu d’attirer l’attention de ses clients sur la portée, les effets et les risques des actes qu’il dresse à la demande de ces derniers.
C’est ce qu’est venue rappeler la Cour de cassation dans un arrêt en date du 3 octobre 2018 (Cour de cassation, Civile 1ère, 3 octobre 2018, Pourvoi n°16-19619).
En l’espèce, le 12 novembre 2005, une chirurgienne-dentiste, exerçant son activité à titre libéral, et un chirurgien-dentiste, exerçant son activité comme salariés, se sont mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, leur contrat de mariage stipulant une clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant ainsi qu’une clause de donation entre époux portant sur l’universalité des meubles et immeubles composant la succession.
Estimant avoir mal été conseillés dans le choix de leur régime matrimonial, les époux ont, par acte en date du 14 juin 2013, assigné le notaire rédacteur de l’acte ainsi que sa société civile professionnelle en indemnisation de leurs préjudices.
Par arrêt en date du 5 avril 2016, la Cour d’Appel de LIMOGES a considéré que le notaire avait manqué à son obligation d’information et de conseil en sa qualité de notaire rédacteur d’acte et l’a, par voie de conséquence, condamné solidairement avec sa société civile professionnelle à payer aux époux certaines sommes à titre de dommages-intérêts.
Plus précisément, la Cour d’Appel de LIMOGES a estimé que le notaire rédacteur d’acte aurait dû déconseiller à ses clients, au regard de leur situation, d’adopter un régime de communauté réduite aux acquêts comportant une clause d’attribution intégrale de la communauté au dernier vivant.
De plus, selon la Cour d’Appel de LIMOGES, l’adoption par le notaire d’un régime de communauté réduite aux acquêts par était « insolite » ; « le seul régime matrimonial qui conv[enait aux époux] était celui de la séparation de biens ».
La société civile professionnelle de notaires s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes son pourvoi, la société civile professionnelle faisait valoir qu’un notaire n’a pas à s’immiscer dans les considérations morales et personnelles qui déterminent ses clients à conclure une convention d’ordre familial ; le notaire serait simplement tenu d’informer ses clients sur les conséquences des différents régimes matrimoniaux sans pouvoir interférer dans le choix qui dépend de considérations morales, personnelles et intimes, qui peut les conduire à adopter un régime communautaire ou séparatiste.
Par ailleurs, selon la société civile professionnelle, la Cour d’Appel de LIMOGES aurait manifesté un parti pris et manqué à son obligation d’impartialité en qualifiant d’insolite l’adoption d’un régime de communauté réduite aux acquêts, comportant une clause d’attribution intégrale de la communauté au dernier vivant et en considérant que le seul régime matrimonial qui convenait était le régime séparatiste.
Enfin, toujours selon la société civile professionnelle, la Cour d’Appel de LIMOGES n’aurait pas suffisamment caractérisé les raisons pour lesquelles un régime séparatiste s’imposait plus qu’un régime communautaire.
Par arrêt en date du 3 octobre 2018 (Cour de cassation, Civile 1ère, 3 octobre 2018, Pourvoi n°16-19619), la Cour de cassation n’a pas fait droit à l’argumentation de la société civile professionnelle de notaire et rejeté son pourvoi.
Comme le précise la Cour de cassation :
« le notaire chargé de rédiger le contrat choisi par des futurs époux est tenu, non pas de les informer de façon abstraite des conséquences des différents régimes matrimoniaux, mais de les conseiller concrètement au regard de leur situation, en les éclairant et en appelant leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations ».
La Cour de cassation ajoute que :
« en constatant qu’au moment de la conclusion du contrat de mariage, Mme L. exerçait une profession libérale et s’était endettée afin de s’installer, faisant ainsi ressortir que cette activité comportait un risque financier, et retenant qu’eu égard à la situation, les notaires ne démontraient ni que les futurs époux leur avaient fait part de raisons particulières de nature à les inciter à choisi un tel régime matrimonial assimilable à celui de la communauté universelle ni qu’ils leur avaient donné un conseil adapté à leur situation professionnelle spécifique, la cour d’appel a caractérisé, sans manifester de parti pris, le manquement du notaire rédacteur à son obligation d’information et de conseil ».
La Cour de cassation rappelle donc, une nouvelle fois que le notaire n’est pas tenu d’une simple obligation d’information d’ordre général envers ses clients mais bien d’un véritable devoir de conseil, adapté à la situation concrète de ses clients, l’attention de ces derniers devant être attirée de façon circonstanciée sur la portée, les effets et les risques des engagements qu’ils vont prendre.
De plus, comme le souligne la Cour de cassation, il n’appartenait pas aux époux de rapporter la preuve que leur notaire n’avait pas rempli son obligation de conseil envers eux ; c’était au notaire qu’il incombait de démontrer qu’il avait bien respecté son devoir de conseil.
Or, en l’espèce, le notaire ne rapportait pas la preuve, d’une part que les époux souhaitaient, pour des raisons spécifiques, adopter un régime de communauté plutôt qu’un régime séparatiste et, d’autre part, qu’il leur avait bien donné un conseil adapté à leur situation professionnelle.
Par conséquent, le notaire rédacteur d’acte a manqué à son devoir de conseil envers ses clients, engageant ainsi sa responsabilité civile délictuelle et ouvrant droit à indemnisation au profit des époux.
Cet arrêt illustre, une nouvelle fois, comme pour les médecins, l’importance de l’obligation d’information des professionnels envers leurs clients et ce d’autant plus que l’article 1112-1 alinéa 4 du Code civil dispose désormais que :
« Il incombe à celui qui prétendu qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie ».
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges