Responsabilité du fait des produits défectueux : l’absence de mention, dans la notice du médicament, du risque d’effets indésirables, établit le défaut de sécurité
Les articles 1245 et suivants du Code civil (Anciennement 1386-1 et suivants) encadrent le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Ce régime, qui a pour origine une directive européenne du 25 juillet 1985, n’a été transposé en France que par une loi du 19 mai 1998, soit avec plus de 10 années de retard.
Comme le rappelle l’article 1245 du Code civil :
« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».
Ainsi, comme pour les accidents de la circulation, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux échappe à la classification traditionnelle opposant responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle.
En application des articles 1245 et suivants du Code civil, quatre conditions sont nécessaires pour qu’une victime puisse être indemnisée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, à savoir :
– L’existence d’un producteur ;
– La preuve de la mise en circulation d’un produit défectueux ;
– L’existence d’un dommage réparable ;
– L’existence d’un lien de causalité ;
S’agissant de l’existence d’un producteur, l’article 1245-5 du Code civil rappelle que :
« Est producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante ».
Dans l’hypothèse où l’identité du producteur demeure inconnue, le fournisseur peut alors voir sa responsabilité engagée en lieux et place du producteur.
Néanmoins, la mise en cause de la responsabilité du fournisseur n’est possible qu’à la condition que ce dernier ne communique pas dans le délai de trois mois à compter de la demande de la victime, l’identité de son propre fournisseur ou du producteur (Article 1245-6 du Code civil).
Le cas échéant, le fournisseur pourra ensuite se retourner à l’encontre du producteur pour obtenir le remboursement des sommes versées à la victime à condition qu’il agisse dans l’année suivant la date de citation en justice.
S’agissant de la mise en circulation du produit défectueux, l’article 1245-2 du Code civil précise que :
« Est un produit tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche.
L’électricité est considéré comme un produit ».
Le Code civil retient donc une définition large de la notion de produit.
Par ailleurs, doit être qualifié de défectueux, le produit « qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (Article 1245-3 du Code civil).
Il ressort de cette disposition que le caractère défectueux d’un produit doit être apprécié in abstracto, par référence à la sécurité à laquelle le public en général peut s’attendre. Pour apprécier cette sécurité, il doit être tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment de la présentation du produit (Ex : l’insuffisance d’informations et de mises en gardes relatives à l’utilisation du produit), de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Le Code civil précise également que le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou des normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation administrative (Article 1245-9 du Code civil).
Enfin, l’article 1245-4 du Code civil dispose que :
« Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement.
Un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ».
La mise en circulation correspond donc à la commercialisation ou à la mise sur le marché d’un produit.
Cette question de la qualification du caractère défectueux d’un produit vient de donner lieu à un arrêt de la Cour de cassation en date du 29 mars 2023 concernant un médicament (Cour de cassation, Civile 1ère, 29 mars 2023, Pourvoi n°22-11039).
En l’espèce, en raison d’une fibrillation auriculaire, un patient a été traité, du 12 mars 2009 au 12 août 2009, avec de l’Amiadarone, principe actif de la Cordarone, utilisé dans la prévention et la correction des troubles du rythme cardiaque, prescrit par un cardiologue libéral et commercialisé par la société BIOGARAN.
Le patient a ensuite consulté un pneumologue en raison d’une hypoxie sévère et d’une pneumopathie interstitielle diffuse, puis a été hospitalisé pour une dyspnée et le traitement a été arrêté.
Le 26 juin 2010, après une dégradation de son état de santé et l’apparition d’une fibrose pulmonaire, il est décédé.
Les proches du patient décédé ont alors sollicité la condamnation solidaire de la société BIOGARAN sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et du cardiologue libéral au titre des fautes commise dans sa prise en charge médicale au paiement de différentes sommes en réparation des préjudices consécutifs à son décès.
Par arrêt en date du 25 novembre 2021, la Cour d’Appel de VERSAILLES a condamné la société BIOGARAN et le cardiologue libéral.
S’agissant de la société BIOGARAN, la Cour d’Appel de VERSAILLES a estimé que l’information fournie dans la notice du médicament était insuffisante et ne satisfaisait pas à l’exigence de sécurité des produits de santé dans la mesure où notamment il n’y était pas fait mention du risque de survenue d’une pneumopathie pouvant évoluer en fibrose pulmonaire mais seulement de « troubles respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) ».
Par ailleurs, la Cour d’Appel de VERSAILLES a relevé que la notice du médicament avait été modifié ultérieurement afin d’ajouter des précisions sur les risques et effets indésirables.
La société BIOGARAN et le cardiologue libéral se sont pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
S’agissant de la société BIOGARAN, cette dernière estime, aux termes de son pourvoi, que le producteur d’un médicament n’a pas l’obligation de reproduire à l’identique dans la notice le contenu du résumé des caractéristiques du produit, mais doit rédiger cette notice de manière claire et compréhensible pour le patient, afin de lui permettre d’agir de manière appropriée en cas d’effets indésirables, ce qui était le cas en l’espèce selon elle.
Par ailleurs, le juge ne saurait se déterminer, pour caractériser le défaut d’un produit de santé, au regard de l’ajout, postérieurement à la prescription de celui-ci au patient, de précisions sur les risques et effets indésirables dans la notice.
Or, par arrêt en date du 29 mars 2023 (Cour de cassation, Civile 1ère, 29 mars 2023, Pourvoi n°22-11039), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société BIOGARAN.
Comme le rappelle la Cour de cassation, aux termes de l’article 1386-4, alinéas 1et et 2, devenu 1245-3, alinéas 1er et 2, du Code civil, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et dans l’appréciation de celle-ci, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
La Cour de cassation relève que si le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et le Vidal, à destination des professionnels de santé, concernant l’Amiodarone, mentionnaient au chapitre des effets indésirables et au titre des manifestations pulmonaires des cas de pneumopathies interstitielles et alvéolaires, la notice du médicament n’en faisait pas état mais mentionnait seulement des « problèmes respiratoires, essoufflement, fièvre, toux) ».
Elle estime que cette information était insuffisante et que ce médicament n’offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux.
Force est donc de constater que l’absence de mention dans la notice d’un médicament du risque d’effets indésirables survenu permet de caractériser le défaut de sécurité du produit, engageant la responsabilité du producteur.