Responsabilité des cliniques psychiatriques en cas de suicide d’un patient
Par deux arrêts en date des 20 et 22 juin 2017, rendus respectivement par les Cours d’Appel de GRENOBLE et de VERSAILLES (Cour d’Appel de GRENOBLE, 1ère Chambre civile, 20 juin 2017, N°16/02993 et Cour d’Appel de VERSAILLES, 3ème Chambre, 22 juin 2017, N°15/06682), des cliniques psychiatriques ont vu leur responsabilité engagée à la suite de suicides commis par leurs patients et ont été condamnées à indemniser les proches de ces derniers au titre de leur préjudice d’affection dès lors que ces établissements de santé avaient manqué à leur obligation de prudence et de surveillance rendant ainsi possible les conditions du passage à l’acte.
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Dans le premier arrêt, une femme avait été hospitalisée avec son consentement, le 4 mai 2006, au sein de la Clinique du DAUPHINE, anciennement dénommée Clinique Psychiatrique LE COTEAU, à la suite d’une tentative de suicide.
Le 11 mai suivant, la patiente était sortie sans autorisation de l’établissement et s’était donnée la mort.
Estimant que la clinique était responsable de ce suicide, l’époux et les trois enfants de la victime avaient alors assigné l’établissement de santé, en présence de son assureur garantissant sa responsabilité civile, devant le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE.
La clinique et son assureur avaient, à leur tour, appelé dans la cause le médecin psychiatre exerçant à titre libéral, en charge de la patiente, afin que ce dernier soit condamné à les relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre.
Par jugement en date du 19 mai 2016, le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE avait déclaré la Clinique Psychiatrique LE COTEAU entièrement responsable du préjudice subi par les demandeurs et condamné l’établissement de santé à les indemniser de leurs préjudices.
Par ailleurs, le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE avait débouté la Clinique Psychiatrique LE COTEAU et son assureur de leurs demandes à l’encontre du médecin psychiatre.
Par déclaration en date du 19 mai 2016, la Clinique Psychiatrique LE COTEAU et son assureur ont interjeté appel de cette décision.
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Dans le second arrêt, un patient souffrant de troubles bipolaires avait été hospitalisé, le 8 décembre 2008, au sein de la Maison de Santé de NOGENT SUR MARNE.
Le 11 décembre 2008, après avoir quitté la clinique psychiatrique, le patient s’était jeté sous une rame de RER.
Estimant que la clinique était également responsable de ce suicide, les parents du défunt et son épouse, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de leurs enfants mineurs, avaient alors assigné en justice l’établissement de santé devant le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE.
Toutefois, par jugement en date du 9 juillet 2015, les proches du défunt avaient été déboutés de l’intégralité de leurs demandes indemnitaires.
Par déclaration en date du 23 septembre 2015, ces derniers ont interjeté appel de cette décision.
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Or, dans les deux arrêts précités en date des 20 et 22 juin 2017 (Cour d’Appel de GRENOBLE, 1ère Chambre civile, 20 juin 2017, N°16/02993 et Cour d’Appel de VERSAILLES, 3ème Chambre, 22 juin 2017, N°15/06682), les Cours d’Appel de GRENOBLE et de VERSAILLES ont retenu la responsabilité des cliniques psychiatriques et les ont condamnées à indemniser les proches des défunts.
En effet, dans les deux hypothèses, les Cours d’Appel rappellent que les cliniques psychiatriques sont tenues d’une obligation générale de prudence et de surveillance.
Cette obligation de moyen implique la démonstration, par les proches des défunts, d’une faute commise par l’établissement de santé, en lien de causalité direct et certain avec le dommage subi par le patient ou ses ayants-droit.
En effet, la responsabilité des cliniques psychiatriques n’est susceptible d’être retenue, après le suicide d’un patient, que si les mesures de sécurité et de surveillance ont été insuffisantes.
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S’agissant du premier arrêt, la Cour d’Appel de GRENOBLE relève que la patiente avait été hospitalisée à la suite d’une première tentative de suicide par conduite automobile à risque avec prise de médicaments.
Son hospitalisation au sein de la clinique psychiatrique avait donc pour objectif de la protéger contre toute éventuelle tentative de récidive.
De plus, la Cour d’Appel de GRENOBLE note que le personnel de la clinique avait accès aux prescriptions médicamenteuses du médecin en charge de la patiente et que les proches de la patiente, eux-mêmes, avaient attiré l’attention du personnel soignant sur l’état dépressif ancien de leur mère et épouse.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il existait donc des éléments permettant de craindre la persistance d’un risque suicidaire, justifiant une vigilance particulière à l’égard de la patiente.
Or, il est établi que, le jour de son suicide, la patiente n’avait pas pris son traitement et qu’aucun membre du personnel soignant ne s’était assuré de l’ingestion de sa presciption médicamenteuse.
Par ailleurs, les enregistrements de vidéo-surveillance au sein de l’établissement ont permis de démontrer que la patiente était parvenue à quitter l’établissement à l’occasion de la sortie d’un véhicule, alors qu’elle n’avait aucune autorisation de sortie et qu’elle avait patienté, pendant un certain temps, à proximité du portail, ce dernier constituant le seul point d’entrée et de sortie de la clinique, ce qui justifiait une attention particulière.
De plus, la patiente était sortie à une heure à laquelle aucune sortie n’était autorisée.
Enfin, il ressort des éléments du dossier que le signalement de la disparition inquiétante de la patiente n’est intervenu, auprès des Services de Gendarmerie, qu’une heure après sa sortie inopinée de la clinique.
Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’Appel de GRENOBLE considère que la Clinique du DAUPHINE, anciennement dénommée Clinique Psychiatrique LE COTEAU, a commis une faute.
Selon la Cour d’Appel de GRENOBLE, cette faute est « caractérisée par une négligence dans son obligation de prudence et de surveillance » qui a créé, pour la patiente, « les conditions nécessaires à son passage à l’acte suicidaire » qui est « en lien de causalité direct et certain avec les dommages subis » par ses proches.
C’est pourquoi, la Clinique du DAUPHINE, anciennement dénommée Clinique Psychiatrique LE COTEAU, a été déclarée responsable du suicide de sa patiente et a été condamnée à verser à l’époux celle-ci la somme de 25.000 euros et à chacun de ses enfants la somme de 18.000 euros en réparation de leur préjudice d’affection.
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S’agissant du second arrêt, la Cour d’Appel de VERSAILLES rappelle que la clinique psychiatrique « constitue un lieu fermé, conçu pour que les malades qui demandent à y être admis ne puissent pas en sortir sans que soient réunies certaines conditions (hospitalisation depuis plus de quinze jours, autorisation du psychiatre traitant, surveillance à la sortie de l’établissement) ».
Toujours selon la Cour d’Appel de VERSAILLES, « le fait qu’une possibilité de sortie non contrôlée ait existé constitue bel et bien un manquement par l’établissement à son obligation de surveillance ».
En l’espèce, la Cour d’Appel de VERSAILLES relève que la porte d’une cour de la Maison de Santé de NOGENT SUR MARNE était exceptionnellement ouverte pour acheminer des matériaux de chantier.
La surveillance de cette porte était uniquement assurée par ouvrier d’entretien qui, interrogé, n’a remarqué aucun passage.
Au cours de leurs recherches, les proches du défunt étaient eux-mêmes passés par cette porte.
Or, ce passage mène directement à la gare toute proche et le bruit des trains y est parfaitement audible.
Au surplus, avant son passage à l’acte, le patient était dans une période de dépression qualifiée de majeure par le médecin et était passé à l’acte suicidaire dans les mois précédents son hospitalisation, ce qui avait conduit ce même médecin à prescrire une surveillance et des soins intensifs.
Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’Appel de VERSAILLES considère que la Maison de Santé de NOGENT SUR MARNE a manqué à son devoir de surveillance, lequel manquement a permis au patient de mettre fin à ses jours.
C’est pourquoi, la Maison de Santé de NOGENT SUR MARNE a été déclarée responsable du suicide de son patient et a été condamnée à verser à chacun de ses parents et de son épouse la somme de 20.000 euros, outre la somme de 25.000 euros à chacun de ses deux enfants, en réparation de leur préjudice d’affection.