Recevabilité de la constitution de partie civile de parents au titre de leur préjudice personnel du fait du viol commis sur leurs enfants mineurs
Deux enfants originaires d’Ethiopie ont été adoptées en 1993 par un couple de Français.
Le 21 avril 2001, les deux jeunes filles ont été placées en foyer par le Juge des Enfants du Tribunal de Grande Instance de BOURG-EN-BRESSE.
Cette décision de placement a été levée le 29 septembre 2003.
Alors qu’elles devaient être remises à leurs parents, le 4 octobre 2003, elles ont fugué, le 2 octobre précédent, du foyer où elles étaient placées.
Les parents ont alors déposé plainte, estimant que le personnel du foyer avait continué à entretenir des relations avec leurs filles pendant la fugue à laquelle il aurait pu contribuer.
Le 26 avril 2004, une information judiciaire a été ouverte du chef de non-représentation d’enfant et soustraction de mineur à l’exercice de l’autorité parentale.
Cette instruction a été clôturée, le 29 août 2008, par une ordonnance de non-lieu confirmée par la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de CHAMBERY, le 29 janvier 2009.
Le 30 juin 2009, la Cour de cassation a déclaré non-admis le pourvoi formé par les parents à l’encontre de l’arrêt précité.
Ces derniers ont sollicité une réouverture d’information pour des charges nouvelles.
A la suite d’une enquête diligentée par le Procureur de la République, la procédure a été classée sans suite, le 28 juillet 2015.
Par courrier en date du 5 décembre 2017, les parents se sont constitués partie civile devant le Doyen des Juges d’Instruction du Tribunal de Grande Instance de CHAMBERY pour viols par personne ayant autorité sur la victime, pour des faits commis entre le 4 octobre 2003 et jusqu’au 23 janvier 2004 sur leurs filles.
En effet, les faits de viol dénoncés par les parents se seraient produits à l’occasion du placement de leurs filles en foyer et de leur fugue.
Le 11 juillet 2018, le Doyen des Juges d’Instruction a toutefois déclaré irrecevable cette constitution de partie civile.
Les parents ont donc interjeté appel de cette décision.
Or, par arrêt en date du 31 janvier 2019, la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de CHAMBERY a confirmé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile des parents.
Selon la Cour d’Appel de CHAMBERY, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l’action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l’infraction.
Toujours selon la Cour d’Appel de CHAMBERY, le préjudice moral qu’invoquent les parents ne résulte qu’indirectement du préjudice éventuel subi par leurs filles.
Les jeunes filles n’ayant pas, ni durant leur minorité, ni depuis leur majorité, dénoncé les viols allégués par leurs parents, ces derniers seraient donc irrecevables à se constituer partie civile dès lors qu’ils n’auraient pas personnellement souffert de l’infraction subis par leurs filles.
Les parents se sont alors pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de leur pourvoi, les parents soutenaient notamment que les proches de la victime, notamment les parents, sont toujours recevables à se constituer partie civile au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi en raison de l’infraction commise contre la victime.
Or, selon eux, des parents subissent nécessairement un préjudice moral résultant directement du viol éventuel de leurs filles commis alors qu’elles étaient mineures.
Par arrêt en date du 26 février 2020 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 février 2020, Pourvoi n°19-82119), la Cour de cassation a suivi l’argumentation développé par les parents et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de CHAMBERY.
En effet, comme le rappelle l’article 2 du Code de procédure pénale :
« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.
La renonciation à l’action civile ne peut arrêter ni suspendre l’exercice de l’action publique, sous réserve des cas visés à l’alinéa 3 de l’article 6 »
L’article 3 du même code précise, quant à lui, que :
« L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction.
Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite ».
Enfin l’article 85 du Code de procédure pénale dispose que :
« Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42.
Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n’est pas requise s’il s’agit d’un crime ou s’il s’agit d’un délit prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou par les articles L. 86, L. 87, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 108 et L. 113 du code électoral. La prescription de l’action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu’à la réponse du procureur de la République ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois ».
En application des articles précités, la Cour de cassation prend soin de rappeler que le droit d’exercer l’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage, aussi bien matériel que corporel ou moral, directement causé par l’infraction.
Elle ajoute que toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le Juge d’Instruction.
Or, selon la Cour de cassation, l’infraction de viol, visée aux poursuites, était de nature à causer directement préjudice, non seulement aux jeunes filles mais également aux parents.
Par conséquent, les parents sont parfaitement recevables à se constituer partie civile au titre de leur propre préjudice moral en raison des faits de viol commis sur leurs filles mineurs au moment des faits et ce, quand bien même leurs filles n’auraient pas dénoncé ces faits durant leur minorité, non plus que depuis leur majorité.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.