Rappel des éléments constitutifs du délit de risque causé à autrui dans un cadre professionnel
Une société exerçant une activité de conception et de construction de batteries de haute technologie disposait, en Charente, d’un site consacré à la fabrication et à l’assemblage d’accumulateurs utilisant une technologie dite « nickel-cadmium » qui requiert l’utilisation de matériaux classés dans la catégorie des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (agents CMR).
Cette société, qui avait instauré depuis l’année 2003 un protocole visant à réduire les risques d’exposition au cadmium, outre un suivi médical des travailleurs exposés, a cédé l’activité de son site en Charente à une autre société le 1er juin 2013.
A la demande du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) de cet établissement, un cabinet expert agréé par le Ministère du Travail et missionné avant que cette cession n’intervienne a établi un rapport après une visite des lieux en janvier 2013 décrivant notamment certaines insuffisances du dispositif mis en œuvre sur le site de Charente.
La société et le chef de l’établissement situé en Charente ont été convoqués devant le Tribunal Correctionnel d’ANGOULEME par citation directe délivrée le 23 décembre 2013, à la demande de 16 salariés et de l’Union Départementale des Syndicats CGT de la Charente pour avoir, à NERSAC, depuis le 24 janvier 2013 et jusqu’au 1er juin 2013, exposé directement des salariés de la société de l’établissement de NERSAC à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité en :
a) Concevant des procédés de travail ne limitant pas l’exposition des salariés aux substances chimiques dangereuses pour leur santé et notamment en :
- N’organisant pas le temps de travail de manière à permettre aux salariés travaillant avec des substances chimiques dangereuses pour la santé de disposer de temps dédié à l’hygiène individuelle et à l’habillage et au déshabillage avant et après les pauses ;
- Entravant l’usage du matériel de protection individuel par l’affectation d’un seul salarié sur deux postes de travail au sein de l’atelier PME ;
- Faisant fonctionner la ligne 14 de l’atelier de montage avec les portes ouvertes, engendrant une exposition directe à des poussières de cadmium des salariés amenés à intervenir à l’intérieur des confinements ;
- N’organisant pas la séparation physique entre les ateliers exposés et non exposés aux substances chimiques dangereuses de sorte à limiter le risque ;
b) Omettant de mettre en place du matériel adéquat et efficace d’aspiration collective de nature à éviter la propagation au sein des espaces de travail des substances chimiques cancérigènes notamment :
- En n’équipant pas de protection collective les postes de la préparation des pâtes de dispositif dans les ateliers MH et PME ;
- En mettant en place des installations collectives inefficaces conduisant à une dispersion des substances chimiques nocives pour la santé dans l’environnement de travail des salariés notamment aux ateliers PBE et DECOUPE ;
c) S’abstenant d’équiper l’ensemble des salariés affectés aux postes exposés aux agents chimiques dangereux de masques à ventilation assistée correspondant aux normes en vigueur ;
d) S’abstenant d’organiser des examens médicaux et des examens complémentaires à tous les salariés exposés au cadmium à la suite de la reconnaissance par la sécurité sociale d’un cancer broncho-pulmonaire en janvier 2012 ;
e) S’abstenant d’équiper les salariés de vêtements de protection ou vêtements appropriés dès leur prise de service ;
f) S’abstenant d’organisation la séparation physique des espaces au sein desquels les agents chimiques cancérigènes sont utilisés des autres parties de l’usine ;
g) En ne remettant pas leurs attestations d’exposition à l’ensemble des salariés transférés le 1er juin 2013 vers une autre société.
En effet, comme le rappelle l’article 223-1 du Code Pénal :
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Par jugement en date du 12 janvier 2016, le Tribunal Correctionnel d’ANGOULEME a déclaré le chef d’établissement de NERSAC et la société coupables du délit de mise en danger de la vie d’autrui.
Les prévenus, le Ministère Public et les salariés, parties civiles, ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt en date du 6 mars 2018, la Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de BORDEAUX a infirmé le jugement rendu en première instance et relaxé le chef d’établissement ainsi que la société.
Pour ce faire, la Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de BORDEAUX a considéré que :
« aucun grief n’est établi au regard d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, ladite obligation devant s’entendre, conformément à la jurisprudence et à la doctrine, comme une norme suffisamment précise pour que soit déterminable sans équivoque la conduite à tenir dans telle ou telle situation et pour que les écarts à ce modèle puissent être aisément identifiés comme hypothèse de mise en danger ».
Elle ajoute que ;
« à supposer que l’on admette que certaines règles de prudence, notamment dans l’organisation du travail ou des locaux, qui n’auraient pas été respectées, pourraient ressortir à une acception large notamment des 3° et 6° de l’article R.4412-70 du Code du travail, le caractère manifestement délibéré de la violation de ces normes ne peut être retenu, l’employeur ayant manifesté depuis des années un réel souci de progresser dans la sécurité au travail, comme le démontrent notamment la mise en place des contrôles effectués par le bureau Véritas, la formalisation du plan cadmium, la généralisation des contrôles biologiques des salariés, l’abaissement des seuils d’aptitude pour les salariés exposés au cadmium ou encore le processus de reclassement des salariés concernés sur des postes non exposés ».
La Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de BORDEAUX estime enfin que :
« s’il ressort du rapport NF…, sur lequel les parties civiles assoient leurs demandes, que le procès industriel peut être amélioré à plusieurs égards afin de diminuer l’exposition des salariés aux agents CMR, ledit rapport ne comporte aucune analyse ni mesure des produits que contiennent les dépôts de poussière dont il constate l’existence en différents ateliers du site de Nersac, en sorte qu’il ne peut combattre utilement les mesures effectuées régulièrement et depuis plusieurs années par le bureau Véritas, communiquées par la défense, qui révèlent que les niveaux d’exposition des salariés au nickel et au cadmium sont inférieurs aux valeurs limites d’exposition professionnels promues par les pouvoirs publics ».
Les salariés se sont alors pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
Par arrêt en date du 13 novembre 2019 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 novembre 2019, Pourvoi n°18-82718), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par les salariés et censuré la décision rendue par la Chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de BORDEAUX.
Comme le rappelle la Cour de cassation au visa de l’article 223-1 du Code pénal, « il incombe au juge de rechercher, au besoin d’office et sans qu’il soit tenu par les mentions ou l’absence de mention de la citation pour mise en danger sur ce point, l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit ; qu’il lui appartient ensuite d’apprécier le caractère immédiat du risque créé, puis de rechercher si le manquement relevé ressort d’une violation manifestement délibéré de l’obligation de sécurité ».
Or, selon la Cour de cassation la Chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de BORDEAUX a méconnu les dispositions de l’article 223-1 du Code pénal dès lors qu’il « lui incombait de rechercher celles des obligations particulières de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement régissant l’emploi d’agents CMR, qui, objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d’appréciation personnelle du sujet, étaient susceptibles d’avoir été méconnues, puis, d’apprécier dans cette hypothèse, si compte tenu des modalités de l’exposition aux agents CMR, les plaignants avaient été exposés à un risque immédiat, de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une informité permanente, enfin, de rechercher si le ou les manquements le cas échéant relevés ressortaient à une violation manifestation délibérée de l’obligation de sécurité ».
La Cour de cassation renvoi donc l’affaire devant la Cour d’Appel de BORDEAUX autrement composée.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.