Prescriptions hors AMM et responsabilité des professionnels de santé
L’article R.4127-8 du Code de la Santé Publique dispose que :
« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ».
En application des dispositions précitées, les médecins bénéficient, dans le cadre de leur activité professionnelle, d’une liberté de prescription.
Cette liberté de prescription s’accompagne également d’un principe d’indépendance professionnelle.
Cependant, cette liberté n’est, en aucun cas, absolue.
En effet, elle fait l’objet d’un certain nombre de restrictions justifiées, tant par des raisons de sécurité sanitaire que pas des raisons économiques.
Comme le rappelle l’article R.4127-8 du Code de la Santé Publique, les prescriptions des médecins doivent tout d’abord être conformes aux limites fixées par la loi et aux données acquises de la science.
Par ailleurs, les prescriptions des professionnels de santé doivent être conformes à l’intérêt du patient.
En effet, l’article L.1110-5 du Code de la Santé Publique dispose que :
« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé ni de l’application du titre II du présent livre ».
Enfin, l’article R.4127-39 précise que :
« Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé.
Toute pratique de charlatanisme est interdite ».
Dans la très grande majorité des cas, les médecins auront recours, dans le cadre de leurs prescriptions, a des médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché, aussi appelée AMM.
En effet, le principe est que les médicaments ne peuvent être commercialisés en France que s’ils bénéficient d’une autorisation préalable de mise sur le marché qui leur est délivrée, soit au niveau européen, soit au niveau national.
Les autorités, qu’elles soient européennes ou françaises, doivent, avant toute commercialisation d’un nouveau médicament, évaluer le rapport bénéfices/risques de ce médicament en termes de qualité, de sécurité et d’efficacité.
Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres et leur consommation comporte des risques.
Les médecins doivent, en principe, respecter les indications reconnues des produits qu’ils emploient.
Toutefois, en l’absence de médicaments appropriés à l’état de santé du patient disposant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU), des prescriptions peuvent être effectuées hors AMM par les professionnels de santé.
Une telle prescription peut alors apparaître suspecte.
Initialement, aucun texte n’encadrait une telle pratique qui était laissée à l’appréciation souveraine des juges.
C’est ainsi que la Cour de Cassation et le Conseil d’État avaient considéré qu’une prescription d’un médicament hors AMM, par un médecin, n’était pas nécessairement illégale ou fautive. Les deux Hautes Juridictions des ordres judiciaires et administratives avaient donc admis la possibilité, pour les professionnels de santé, de recourir à des prescriptions hors AMM.
À la suite de l’affaire du Médiator©, il a été décidé de donner une assise légale à cette pratique.
C’est dans ce contexte qu’une loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a été publiée au Journal Officiel, le 30 décembre suivant.
Cette loi a donné naissance à l’article L.5121-12-1 du Code de la Santé Publique, lequel dispose que :
« I. -Une spécialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, sous réserve qu’une recommandation temporaire d’utilisation établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l’utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d’utilisation et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.
En l’absence de recommandation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.
II.- Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont établies pour une durée maximale de trois ans, renouvelable. Elles sont mises à la disposition des prescripteurs par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou par l’entreprise qui assure l’exploitation de la spécialité concernée.
III. ― Le prescripteur informe le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, le cas échéant, de l’existence d’une recommandation temporaire d’utilisation, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament et porte sur l’ordonnance la mention : » Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou, le cas échéant, » Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation « .
Il informe le patient sur les conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.
Il motive sa prescription dans le dossier médical du patient.
IV. ― Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont établies après information du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché.
Les recommandations temporaires d’utilisation sont élaborées dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Concernant les maladies rares, l’agence visée à l’article L. 5311-1 élabore les recommandations temporaires d’utilisation en s’appuyant notamment sur les travaux des professionnels de santé prenant en charge ces pathologies et, le cas échéant, les résultats des essais thérapeutiques et les protocoles nationaux de diagnostics et de soins.
Ces recommandations sont assorties d’un protocole de suivi des patients, qui précise les conditions de recueil des informations concernant l’efficacité, les effets indésirables et les conditions réelles d’utilisation de la spécialité par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou l’entreprise qui l’exploite. Le protocole peut comporter l’engagement, par le titulaire de l’autorisation, de déposer dans un délai déterminé une demande de modification de cette autorisation ».
Les dispositions de l’article L.5121-12-1 du Code de la Santé Publique viennent ainsi consacrer les solutions retenues par la Cour de cassation et le Conseil d’État.
Il est parfaitement possible, en principe, pour un professionnel de santé, d’avoir recours à des prescriptions médicamenteuses hors AMM.
Toutefois, cette faculté est fortement encadrée par le Code de la Santé Publique.
En effet, cette prescription hors AMM doit, tout d’abord, être effectuée dans l’intérêt du patient.
Par ailleurs, pour qu’une prescription hors AMM soit réalisée par un médecin, il ne doit exister aucune alternative médicamenteuse bénéficiant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation.
De plus, le médecin doit inscrire et motiver sa décision dans le dossier médical du patient et justifier que son indication est indispensable pour améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient.
En outre, le prescripteur doit informer le patient de l’absence d’AMM de sa prescription, de l’absence d’alternatives thérapeutiques, des bénéfices attendus et des risques ou contraintes du médicament.
L’ordonnance doit comporter la mention spécifique « prescription hors autorisation de mise sur le marché ».
Enfin, le professionnel de santé doit informer plus particulièrement le patient des conditions de prise en charge financière de ce médicament. En effet, pour être remboursé, un médicament doit figurer sur une liste de médicaments remboursables définis par arrêté ministériel. Le médecin prescripteur devra donc apposer la mention NR « Non Remboursable » sur son ordonnance. Le patient devra alors prendre en charge le coût de cette prescription.
C’est donc désormais sur la base de l’ensemble de ces critères qu’il conviendra d’apprécier l’opportunité et la validité de la prescription hors AMM d’un médecin et son éventuel caractère fautif.
Bien évidemment, les médecins ne sont pas tenus à une obligation de résultat mais à une simple obligation de moyen dans le cadre des soins qu’ils dispensent.
Ils doivent délivrer des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science.
Mais, dans l’hypothèse où la prescription hors AMM du médecin ne respecterait pas les conditions fixées par l’article L.5121-12-1 du Code de la Santé Publique et ne serait pas conforme à l’état de santé du patient, le médecin prescripteur pourrait voir engager sa responsabilité à un triple niveau.
Premièrement, le professionnel de santé pourrait voir sa responsabilité disciplinaire recherchée par le patient victime ou ses ayants-droit.
Comme l’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt en date du 19 juillet 2011 (Conseil d’État, 19 juillet 2011, N°334546), une prescription hors AMM n’est pas en soi illégale. Elle ne saurait, à elle seule, caractériser une faute disciplinaire.
Il appartient donc à la juridiction ordinale de préciser en quoi la thérapeutique employée à fait effectivement courir un risque injustifié au patient (Conseil d’État, 4 septembre 2000, N°184498).
Bien évidemment, une prescription qui n’est pas réalisée dans l’intérêt du patient expose le médecin à une sanction disciplinaire (Conseil d’État, 27 octobre 1972, N°84796).
Deuxièmement, le médecin pourrait voir sa responsabilité civile engagée, soit en raison d’un manquement caractérisé aux règles de l’art par la prescription d’une thérapeutique inadaptée en application des dispositions de l’article L.1142-1 du Code de la Santé Publique, soit en raison d’un manquement à l’obligation d’information.
S’agissant de l’obligation d’information, il convient de rappeler que préalablement à tout acte médical, le consentement du patient doit être recueilli ; le malade doit consentir au traitement qui lui est proposé.
Il s’agit d’un droit pour lui et d’une obligation pour le professionnel de santé.
En effet, prescrire et appliquer un traitement, sans l’accord préalable du patient, constitue une faute engageant la responsabilité du professionnel de santé.
Or, ce consentement du patient n’a de sens que s’il est éclairé, c’est-à-dire précédé d’une information précise, loyale et appropriée sur les soins envisagés, les risques encourus, l’existence ou l’absence de solutions alternatives ainsi que les avantages et les inconvénients comparés.
Cette obligation d’information porte sur tous les risques inhérents à l’acte de soin envisagé.
Il s’agit aussi bien des risques fréquents et graves que des risques exceptionnels.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 12 juin 2012 (Cour de cassation, Civile 1ère, 12 juin 2012, Pourvoi n°11-18327), la Cour de cassation a rappelé que le non-respect par un médecin du devoir d’information dont il est tenu envers son patient cause à ce dernier un préjudice autonome justifiant à lui seul une réparation alors même que la prescription hors AMM était pratiquée couramment et sans risque connu.
La présence d’un résumé des caractéristiques du produit, d’un étiquetage ou d’une notice dans le médicament ne saurait exonérer le médecin de son obligation d’information.
Aussi, en cas d’absence d’information, d’information incomplète ou d’information inexacte ayant empêché le patient de donner un consentement éclairé au traitement prescrit hors AMM, le médecin pourrait voir sa responsabilité civile engagée.
Troisièmement, outre sa responsabilité disciplinaire et sa responsabilité civile, le médecin pourrait, dans les cas les plus graves, engager sa responsabilité pénale.
En effet, en cas de prescription hors AMM injustifiée, le médecin pourrait voir sa responsabilité pénale recherchée pour homicide involontaire, mise en danger de la vie d’autrui, empoisonnement…
Les prescriptions hors AMM doivent donc être effectuées, par les professionnels de santé, avec la plus grande prudence.