Préjudice économique du conjoint survivant et pension de réversion
Afin d’harmoniser les règles d’indemnisation des préjudices subis par les victimes, une nomenclature des postes de préjudice a été adoptée au cours de l’année 2006, appelée nomenclature Dintilhac.
Cette nomenclature repose sur une triple distinction des postes de préjudice :
– La distinction entre les préjudices subis par la victime directe et les préjudices subis par les victimes indirectes, aussi appelées victimes par ricochet ;
– La distinction entre les préjudices patrimoniaux et ceux de nature extrapatrimoniale ;
– La distinction entre les préjudices temporaires et ceux de nature permanente ou définitive ;
Par ailleurs, la nomenclature Dintilhac énumère une liste, non limitative, de postes de préjudices ouvrant droit à indemnisation au profit des victimes indirectes, dont les « Pertes de revenus des proches ».
La nomenclature Dintilhac définit ce poste de préjudice de la façon suivante :
« Le décès de la victime directe va engendrer des pertes ou des diminutions de revenus pour son conjoint (ou son concubin) et ses enfants à charge, c’est-à-dire pour l’ensemble de la famille proche du défunt. Ces pertes ou diminutions de revenus s’entendent de ce qui est exclusivement liée au décès et non des pertes de revenus des proches conséquences indirectes du décès.
Pour déterminer la perte ou la diminution de revenus affectant ses proches, il y a lieu de prendre comme élément de référence, le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe en tenant compte de la part d’autoconsommation de celle-ci et du salaire qui continue à être perçu par son conjoint (ou concubin) survivant.
En outre, il convient de réparer, au titre de ce poste, la perte ou la diminution de revenus subie par les proches de la victime directe, lorsqu’ils sont obligés d’assurer jusqu’au décès de celle-ci une présence constante et d’abandonner temporairement leur emploi.
En tout état de cause, la réparation de ce chef de préjudice ne saurait conduire le proche de la victime directe à bénéficier d’une double indemnisation à la fois au titre de l’indemnisation de ce poste et de celle qu’il pourrait également percevoir au titre de l’assistance par une tierce personne, s’il décidait de remplir cette fonction auprès de la victime. Dans ce cas, il conviendra de déduire cette dernière indemnité de celle à laquelle il pourra prétendre au titre de l’indemnisation du présent poste ».
Par arrêt en date du 16 septembre 2021 (Cour de cassation, Civile 2ème, 16 septembre 2021, Pourvoi n°20-14383), la Cour de cassation est venue rappeler la méthode de calcul de l’indemnisation du préjudice économique subi par le conjoint survivant et, plus précisément, les règles d’imputation des éventuelles pensions de réversions perçues par ce dernier sur le montant définitif de son indemnisation.
En l’espèce, un marin est décédé dans la nuit du 16 au 17 août 2007 à la suite de l’abordage de son navire de pêche par un cargo.
Une Cour d’Appel a déclaré le capitaine et le second capitaine du cargo coupables des délits d’homicide involontaire, de fuite et d’omission de porter secours, les a jugés entièrement responsables des conséquences dommageables de l’homicide involontaire commis sur la personne du marin décédé et du délit connexe d’omission de porter de secours commis à l’égard de ce dernier et les a condamnés à payer à sa veuve une certaine somme en réparation de son préjudice moral.
Cette dernière a alors saisi une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) afin d’obtenir la réparation intégrale de ses préjudices.
Par arrêt en date du 15 janvier 2020, la Cour d’Appel de RENNES lui a alloué différentes indemnités, dont une au titre de son préjudice économique.
Estimant cette indemnisation sous-évaluée, la veuve du marin s’est pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son pourvoi, la veuve du marin conteste la méthode de calcul de son préjudice économique, retenue par la Cour d’Appel de RENNES.
En effet, cette dernière a déduit du montant de l’indemnisation dû à la veuve, la pension de réversion qu’elle percevait à la suite du décès de son premier conjoint, suspendue pendant le temps du mariage avec la victime directe et à nouveau versée après le décès de celle-ci au cours de l’abordage.
Selon la veuve du marin, cette première pension de réversion n’est pas une conséquence nécessaire du fait dommageable ; elle ne doit donc pas diminuer le montant du préjudice économique subi du fait du décès de son second mari.
Or, par arrêt en date du 16 septembre 2021 (Cour de cassation, Civile 2ème, 16 septembre 2021, Pourvoi n°20-14383), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation de la veuve et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de RENNES et ce, au visa des articles 706-3 et 706-9 du Code de procédure pénale ainsi qu’au visa du principe de la réparation sans perte ni profit pour la victime.
Comme le rappelle la Cour de cassation, « la circonstance qu’après le décès du dernier conjoint ou concubin, le survivant perçoive, du chef d’un précédent conjoint ou concubin, une pension de réversion, dont le versement, suspendu à la suite du remariage, a repris après le décès, n’est pas de nature à diminuer le montant de la réparation du préjudice économique subi ».
En effet « la pension de réversion versée du chef du premier conjoint, suspendue pendant le temps du mariage de M. et Mme [C], ne constituait pas un revenu de leur foyer et n’était pas la conséquence directe et nécessaire du décès de M. [C] ».
Par conséquent, la pension de réversion perçue au titre d’une première union ne doit pas être déduite du préjudice économique de la victime indirecte en cas de décès de son second conjoint.
En revanche, il conviendra de déduire du préjudice économique de la victime indirecte la pension de réversion perçue pour le décès du second conjoint.