Préjudice d’angoisse lié à la conscience d’une mort imminente
Contrairement à la Chambre Criminelle, la 2ème Chambre Civile de la Cour de cassation refuse de faire de l’angoisse liée à la conscience d’une mort imminente, un préjudice distinct des souffrances endurées, ouvrant droit à indemnisation de façon autonome.
En l’espèce, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 octobre 2016 de la Cour de Cassation (Cour de cassation, Civile 2ème, 20 octobre 2016, Pourvoi n° 14-28866), une femme avait été tuée, sur son lieu de travail, de plusieurs coups de couteau.
Souhaitant obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices, son époux et son fils, agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité d’ayants-droit de leur épouse et mère, avaient saisi la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions.
Toutefois, dans un arrêt en date du 4 septembre 2014 (Cour d’Appel de PARIS, 4 septembre 2014, RG n° 14/02142 et 14/03051), la Cour d’Appel de PARIS avait refusé de leur allouer une indemnisation spécifique au titre du préjudice lié à l’angoisse d’une mort imminente, ressentie par la victime.
En effet, selon la Cour d’Appel de PARIS, cette angoisse d’une mort imminente avait déjà été réparée par l’allocation d’une somme au titre des souffrances endurées.
Le mari et le fils de la défunte se sont alors pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
Néanmoins, dans son arrêt en date du 20 octobre 2016 (Cour de cassation, Civile 2ème, 20 octobre 2016, Pourvoi n° 14-28866), la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation est venue confirmer l’analyse portée par la Cour d’Appel de PARIS.
Pour la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, l’angoisse d’une mort imminente n’ouvre pas droit, pour les ayants-droit d’une victime, à une indemnisation spécifique et autonome ; cette angoisse doit uniquement être indemnisée dans le cadre du poste de préjudice lié aux souffrances endurées.
Les contradictions de solutions entre les différentes chambres de la Cour de Cassation quant à l’autonomie du préjudice d’angoisse lié à une mort imminente
Le préjudice d’angoisse lié à la conscience d’une mort imminente, est un poste de préjudice d’apparition récente, qui ne figure pas dans la nomenclature Dinthillac.
Il s’agit de la souffrance morale et psychologique ressentie par une victime durant le délai pendant lequel elle prend conscience du fait qu’elle va mourir prochainement.
Pour ouvrir droit à indemnisation, l’angoisse ne doit pas nécessairement être ressentie sur une longue durée ; il peut s’agir d’un simple instant de raison.
En revanche, il est indispensable, selon la jurisprudence, que la victime ait eu conscience de sa propre fin.
Les demandes indemnitaires relatives à ce poste de préjudice sont apparues et se sont principalement développées dans le cadre des accidents collectifs (Ex : Affaire du Queen Mary II, Affaire de la catastrophe d’Allinges, Affaire du crash de Yemenia Airways, Affaire de Puisseguin…).
Aujourd’hui, le préjudice d’angoisse lié à la conscience d’une mort imminente, trouve un écho particulier à la suite des différents attentats qui se sont produits en France en 2015 et 2016 (à ce sujet, voir Le Livre Blanc sur les Préjudices subis lors des Attentats présenté par le Groupe de Contact des Avocats des Victimes de Terrorisme).
Toute la difficulté relative à ce poste de préjudice tient au fait qu’il existe une divergence de position entre, d’une part la Chambre criminelle et, d’autre part la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation.
En effet, si la Chambre criminelle fait du préjudice d’angoisse liée à la conscience d’une mort imminente, un préjudice distinct des souffrances endurées, ouvrant droit à indemnisation de façon autonome (Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 octobre 2012, Pourvoi n° 11-83770 ; Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 octobre 2013, Pourvoi n° 12-83055), la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, quant à elle, refuse toute autonomie et inclut le préjudice d’angoisse dans le poste des souffrances endurées (Cour de cassation, Civile 2ème, 18 avril 2013, Pourvoi n° 12-18199 ; Cour de cassation, Civile 2ème, 16 mai 2013, Pourvoi n° 12-17147).
L’arrêt commenté du 20 octobre 2016 (Cour de cassation, Civile 2ème, 20 octobre 2016, Pourvoi n° 14-28866) vient confirmer cette solution traditionnelle de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation.
Selon la 2ème Chambre civile, le préjudice d’angoisse liée à la conscience d’une mort imminente doit être inclus dans les souffrances endurées et n’ouvre pas droit à une indemnisation spécifique pour la victime.
L’unification des conditions d’indemnisation du préjudice d’angoisse liée à une mort imminente
Si les deux chambres de la Cour de cassation sont en désaccord quant au principe de l’autonomie du préjudice d’angoisse, elles sont, en revanche, en accord quant aux conditions permettant d’ouvrir droit à réparation au profit de la victime.
Tout d’abord, comme le rappelle la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation :
« la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime ; que seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine ».
Ce n’est donc pas la perte de chance de survie ou l’espérance de vie abrégée qui ouvre droit à indemnisation mais bien la souffrance morale et psychologique, ressentie par la victime, en raison de la conscience de sa mort imminente.
Ensuite, pour que ce préjudice d’angoisse soit indemnisable, il est nécessaire de caractériser, non seulement les souffrances ressenties par la victime, mais aussi et surtout « la conscience inéluctable de l’imminence de son décès ».
La réparation du préjudice d’angoisse est donc subordonnée, par l’ensemble des chambres de la Cour de cassation, à la preuve de la conscience de son état, par la victime, entre le moment de son accident et son décès.
Exiger une telle conscience est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 mars 2013, Pourvoi n° 12-82600 ; Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 septembre 2016, Pourvoi n° 15-83309).
Enfin, comme le rappelle la Cour de cassation, la réalité des souffrances endurées et l’état de conscience de la victime relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
La Cour de cassation se contente donc de contrôler que les juridictions du fond ont effectivement opéré une vérification des conditions ouvrant droit à indemnisation, au profit de la victime, au titre de préjudice d’angoisse, lié à la conscience d’une mort imminente.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.