Précisions sur la protection de l’identité des victimes d’infractions sexuelles

Publié le 11/07/23

En 2018, un homme a été mis en examen pour des faits de viols aggravés.

Durant la phase d’instruction, l’une des plaignantes a créé une cagnotte en ligne avec sa photographie pour financer ses frais de procédure. Néanmoins, elle avait pris la précaution d’avoir recours à un pseudonyme pour ne pas être identifiable.

En 2019, ce mis en examen a cité le véritable nom de cette plaignante au sein d’un livre, sur le site internet relatif à cet ouvrage et dans une entrevue télévisée avec un journaliste. 

La plaignante a alors porté plainte le 11 octobre 2019 contre cet homme pour délit de publication d’identité d’une victime d’agression sexuelle sans son consentement prévue et réprimé à l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881.

Le 6 novembre 2020, le tribunal correctionnel territorialement compétent a condamné cet homme à une peine de 3.000 euros d’amende pour commission de ce délit, en tant qu’auteur principal pour le communiqué de presse et pour l’émission télévisée et en tant que complice pour le livre.

Le prévenu et la partie civile ont interjeté appel à titre principal et le Ministère public à titre incident.

Par arrêt en date du 3 février 2022, la Cour d’Appel de PARIS a confirmé le jugement du tribunal mais n’a retenu qu’une peine d’amende de 1.000 euros contre l’auteur car la victime avait contribué à sa propre identification.

Le prévenu a alors formé deux questions prioritaires de constitutionnalité, l’une portant sur la légalité du délit de publication d’identité d’une victime d’infraction sexuelle et la seconde sur la comptabilité de cet interdit avec la liberté d’expression. 

Par arrêt en date du 10 aout 2022, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation a refusé de transmettre les deux QPC au Conseil Constitutionnel. 

Le prévenu a alors formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS.

Aux termes de son pourvoi, il soutient, comme dans ses QPC, que l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 ne définit pas précisément le terme de victime ce qui méconnait le principe de légalité des délits et des peines. 

En effet, sans condamnation définitive pour les faits de viols aggravés, la plaignante ne pouvait pas légitimement être considérée comme une victime.

De plus, il estime que cette condamnation porte une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression car l’article réprime la publication de l’identité d’une victime sans son consentement, sans prendre en considération le fait que la victime ait pu préalablement diffuser elle-même son identité sur internet.  

Toutefois, par arrêt en date du 7 février 2023 (Cour de cassation, Chambre Criminelle, 7 février 2023, Pourvoi n°22-81.0578), la Chambre Criminelle a rejeté le pourvoi du prévenu. 

Sur le premier moyen, la Cour précise que « le texte susvisé n’a pas entendu réserver sa protection aux seules victimes reconnues comme telles par décision définitive ayant prononcée la condamnation de l’auteur des faits. ».

En effet, elle énonce que « le terme de « victime » employé à l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 s’applique nécessairement à toute personne se présentant comme telle. ».

Dès lors, la Cour de cassation permet un élargissement de la qualité de victime du délit en cause. 

Sur le deuxième moyen, la Cour précise tout d’abord que l’article 39 précité incrimine la diffusion de l’identité d’une victime d’infraction sexuelle sans son autorisation.

En l’espèce, peu importe les agissements antérieurs de la victime, le prévenu n’ayant pas recueilli ce consentement, il ne pouvait diffuser l’identité de cette plaignante.

De plus, l’article 39 quinquies de la loi de 1881 apporte des restrictions à la liberté d’expression afin de protéger la dignité et la vie privée des victimes d’infraction sexuelle. 

Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de rechercher si la diffusion de l’identité de la victime contribuait à un débat d’intérêt général ou était nécessaire à l’exercice des droits de la défense du prévenu.

Selon la Cour, la publication litigieuse ne relevait pas d’un débat d’intérêt général et n’était pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense du prévenu ; l’arrêt de la Cour d’appel est donc confirmé.

Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte des précisions quant à la protection apportée par l’article 39 quinquies de la loi de 1881 sur l’identité des victimes d’infraction sexuelle.

Article rédigé avec la participation de Madame Léa BUSSEREAU, stagiaire 

Pin It on Pinterest