Piéton percuté par un tramway et application de la loi Badinter relative aux accidents de la circulation
Le 9 juin 2011 à BORDEAUX, un collégien, âgé de 15 ans au moment des faits et qui se déplaçait à pied, a été percuté à la suite d’une bousculade avec d’autres élèves par le tramway qui circulait sur sa voie le long du trottoir. Sa tête a heurté le parebrise du véhicule, lui causant un traumatisme crânien. Cet accident lui a également causé des séquelles au pied droit.
A la suite de cet accident, les parents de la victime ont assigné en justice la société de transport exploitant le tramway ainsi que son assureur afin d’obtenir la réparation intégrale de son préjudice.
Par un arrêt rendu le 12 octobre 2021, la Cour d’appel de Bordeaux a décidé que la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation était applicable aux faits et a condamné, sur ce fondement, la société de transport ainsi que son assureur à réparer l’intégralité du préjudice de la victime.
La société de transport et son assureur se sont alors pourvus en cassation. Ils reprochent aux juges du fond de confirmer l’application de la loi du 5 juillet 1985 à l’accident. Cette loi, d’après son article 5, ne s’applique pas aux tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. Or, d’après eux, en l’espèce, les voies empruntées par le tramway à l’endroit de l’accident lui étaient propres, puisqu’elles lui étaient réservées et n’étaient pas destinées à être empruntées par d’autres véhicules, ni par des piétons.
Toutefois, par un arrêt rendu le 21 décembre 2023 (Cour de cassation, Civile 2ème, 21 décembre 2023, n° 21-25.352), la Cour de cassation a rejeté leurs demandes et a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux en décidant que la loi du 5 juillet 1985 était bien applicable aux faits en question. La société de transport ainsi que son assureur sont donc définitivement condamnés à indemniser les préjudices de la victime sur ce fondement.
L’absence d’une voie propre au Tramway à l’endroit du choc
A la lecture de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, cinq conditions doivent être réunies pour que celle-ci soit applicable :
- La présence d’un véhicule terrestre à moteur
- L’existence d’un fait accidentel
- L’existence d’un fait de circulation
- L’implication du véhicule terrestre à moteur
- L’imputabilité du dommage de la victime à l’accident de la circulation
Pour que cette loi soit applicable, il faut donc d’abord rapporter la preuve de la présence d’un véhicule terrestre à moteur.
Un véhicule peut être défini comme un engin capable de transporter des personnes ou des biens. Celui-ci doit être terrestre, c’est-à-dire avoir vocation à se mouvoir sur le sol, et être doté d’un moteur, c’est-à-dire d’une force mécanique de propulsion autonome de l’action humaine ou animale. En l’espèce, le tramway correspond à cette définition et peut donc être considéré comme un véhicule terrestre à moteur.
Pour que la loi soit applicable, il est ensuite nécessaire de rapporter la preuve d’un fait accidentel.
Le préjudice de la victime doit résulter d’un accident de la circulation, lequel est défini comme un évènement fortuit ou imprévu. A contrario, cela signifie que lorsque le dommage est le résultat d’une faute intentionnelle, la loi du 5 juillet 1985 n’est pas applicable.
En l’espèce cette condition ne pose pas de difficultés puisque rien n’indique que le conducteur du tramway a volontairement causé l’accident. Il a accidentellement percuté la victime qui est tombée sur la voie de tramway après avoir perdu l’équilibre. Il s’agit donc bien d’un fait involontaire.
Pour que la loi soit applicable, il est en outre nécessaire de rapporter la preuve d’un fait de circulation. Il faut démontrer que le véhicule était dans une fonction de déplacement au moment de l’accident.
En l’espèce, cette condition est remplie puisqu’au moment de l’accident, le tramway circulait sur sa voie.
Quant au lieu de circulation du véhicule lors du dommage, la jurisprudence retient une conception extensive de ce critère. Il peut s’agir d’une voie de circulation ouverte au public, mais pas uniquement. En effet, la loi peut s’appliquer à un accident dans un champ ou sur une voie privée (Cour de cassation, Civile 2ème, 17 décembre 1997, n° 96-12.850 ; Cour de cassation, Civile 2ème, 8 janvier 1992, n° 90-19.336).
En l’espèce, nous verrons que cette condition pose une difficulté.
Pour que la loi s’applique, il faut également que le véhicule, en l’occurrence le tramway, soit « impliqué » dans l’accident. D’après une jurisprudence constante, il suffit que le véhicule ait joué un rôle quelconque dans la réalisation de l’accident, qu’il soit intervenu à quelque titre que ce soit (Cour de cassation, Civile 2ème, 2 mars 2017, n°16-15.562 ; Cour de cassation, Civile 2ème, 15 janvier 2015, n°13-27.448).
En l’état, il y a eu contact entre la victime et le tramway. Celui-ci est donc bien impliqué dans l’accident.
Enfin, il faut non seulement démontrer que le véhicule est impliqué dans l’accident mais aussi que le dommage de la victime est bien imputable à l’accident. Cela signifie que l’accident doit avoir causé le dommage.
En l’espèce, il n’y a aucun doute sur le fait que c’est le choc avec le tramway qui a causé les préjudices du collégien.
Toutes les conditions nécessaires à l’application de la loi semblaient donc réunies.
Il faut toutefois se pencher sur la condition relative au lieu de circulation du véhicule au moment de l’accident, qui pose une difficulté.
Nous avons vu que la jurisprudence retient une conception extensive du lieu de circulation. Pour que la loi s’applique, il faut que l’accident ait eu lieu sur une voie de circulation ouverte au public, mais pas uniquement.
Cependant, et c’est toute la difficulté posée par cet arrêt, l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 précise que celle-ci ne s’applique pas aux tramways lorsqu’ils circulent sur des voies qui leur sont propres, sans pour autant définir cette notion.
Ainsi, pour savoir s’il s’agit d’une voie propre au tramway ou non, la jurisprudence cherche à distinguer si, au moment de l’accident, le tramway partageait, ou non, sa voie de circulation avec d’autres utilisateurs. Doit donc être considérée comme une voie propre, une voie qui a été rendue inaccessible aux piétons et aux autres véhicules (Cour de cassation, Civile 2ème, 5 mars 2020, n° 19-11411).
En l’espèce, la Cour de cassation valide la décision des juges du fond selon laquelle la voie de tramway ne lui était pas propre puisqu’ « à l’endroit du choc, aucune barrière ne sépare la voie de tramway du trottoir duquel la victime a chuté et que la hauteur de celui-ci ne permet pas de délimiter cette voie ». Puisque la voie n’était pas rendue inaccessible aux piétons, la loi de 1985 trouve à s’appliquer.
A contrario, on comprend que si la voie avait été au moins surélevée par rapport au trottoir ou séparée de celui-ci par une barrière, elle aurait été considérée comme propre au tramway et la loi n’aurait pas été applicable aux faits.
Une loi favorable à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation
Il est dans l’intérêt de la victime que la loi du 5 juillet 1985 trouve à s’appliquer. Comme son intitulé l’indique (« Loi tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation »), celle-ci est favorable à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, particulièrement les piétons. Cette loi est également protectrice des victimes sur le plan procédural.
Concernant les victimes non conductrices, seule une faute inexcusable qui est la cause exclusive de l’accident ou une faute intentionnelle pourra leur être opposée et venir exclure leur droit à l’indemnisation de leur préjudice.
Au sein même des victimes non conductrices, la loi distingue les victimes âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans qui sont privilégiées puisqu’elles seront indemnisées des dommages corporels qu’elles ont subis dans tous les cas, même si elles ont commis une faute inexcusable qui est la cause exclusive de l’accident. La seule exception qui puisse faire obstacle à l’indemnisation de ces victimes dites « privilégiées » c’est la faute intentionnelle.
En l’espèce, la victime était âgée de 15 ans et circulait à pied au moment des faits. Ainsi, même dans l’hypothèse où, en tombant sur la voie de tramway, le collégien aurait commis une faute inexcusable ayant exclusivement causé l’accident, son statut de victime privilégiée lui aurait permis d’être indemnisé intégralement de son préjudice corporel puisqu’il ne l’a pas volontairement recherché. Le seul cas de figure dans lequel il n’aurait pas été indemnisé aurait été qu’il se soit volontairement jeté sur le tramway.
Par conséquent, en application de la Loi Badinter, la victime sera indemnisée de l’ensemble de ses préjudices par la société de transport exploitant le tramway et son assureur.
Article rédigé avec la participation de Monsieur Antoine THIBAULT, stagiaire.