Obligation de sécurité renforcée d’une association sportive de lutte libre
Le 2 février 2009, lors d’un entraînement de lutte libre, organisé par l’association Union Sportive d’IVRY (l’USI), club affilié auprès de la Fédération Française de Lutte (FFL), un participant a été grièvement blessé au cours d’un combat avec un autre participant, réalisé à l’occasion d’un jeu appelé « SURVIVOR », encadré par l’entraîneur de l’association, au cours duquel les participants s’affrontaient successivement et cherchaient à éliminer un à un leurs adversaires en les faisant tomber au sol.
Au cours d’un de ces combats, un participant a subi une luxation rotatoire des vertèbres C3-C4 à l’origine d’une tétraplégie.
Une mesure d’expertise judiciaire a alors été ordonnée afin de recueillir l’avis des Experts sur la dangerosité de la prise effectuée par l’autre participant et/ou en évaluer la maîtrise par celui-ci, et à rechercher si la réalisation de cette prise pouvait devenir dangereuse au regard des éventuelles différences de niveau et/ ou d’expérience et de poids des deux participants.
A la suite du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, la victime et ses proches ont assigné l’USI, la FFL et leur assureur, la société COVEA RISKS, aux côtés de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du VAL DE MARNE afin de les voir déclarées entièrement responsables des conséquences dommageables de l’accident et condamnées, avec leur assureur, à réparer leur entier préjudice.
Par arrêt en date du 20 février 2017, la Cour d’Appel de PARIS a déclaré l’USI responsable des dommages dont a été victime le participant et l’a condamné in solidum avec son assureur, d’une part à verser à la victime une provision d’un montant de 400.000 euros et, d’autre part indemniser l’entier dommage corporel de ce dernier.
L’assureur de l’USI s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Pour ce faire, il expose que les centres et clubs sportifs ne sont tenus que d’une simple obligation de sécurité de moyen à l’égard de leurs adhérents. Par conséquent, en mettant à la charge de l’USI une obligation de sécurité de moyens renforcée, la Cour d’Appel de PARIS aurait violé les dispositions de l’article 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable au litige.
Par ailleurs, l’assureur de l’USI rappelle qu’aucune faute n’a été commise par son assuré. Lors de l’accident, le combat se déroulait dans des conditions normales d’entraînement et sans geste prohibé de la part de l’autre participant, les règles de la lutte ayant précisément pour objet d’éviter les actions dangereuses. En conséquence, l’entraîneur n’avait aucune raison d’ordonner l’arrêt immédiat du combat qui se tenait dans des conditions normales d’entraînement.
Enfin, l’assureur de l’USI précise que la victime était, au moment de l’accident, finaliste du jeu « SURVIVOR », ce qui impliquait qu’il avait triomphé de ses autres adversaires et n’était pas à proprement parler un néophyte puisqu’il avait pratiqué, par le passé, le Full Contact avant de s’adonner à la lutte, cette première activité étant « une forme extrêmement dangereuse de boxe pieds-poings, autorisant la mise KO de l’adversaire et présentant davantage de risques que la seconde ».
Néanmoins, dans son arrêt en date du 16 mai 2018 (Cour de cassation, Civile 1ère, 16 mai 2018, Pourvoi n°17-17904), la Cour de cassation n’a pas fait droit à cette argumentation et a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de PARIS.
Comme le rappelle la Cour de cassation :
« la lutte est un sport potentiellement dangereux rendant nécessaire la fixation de règles précises, notamment l’interdiction d’actions sportives susceptibles de porter atteinte à la sécurité corporelle des lutteurs ».
Or, comme l’a relevé la Cour d’Appel de PARIS :
« il existait entre M.A… et M. X… une différence de gabarit, 89 kilogrammes pour le premier et 65 kilogrammes pour le second, ainsi qu’une différence de niveau technique, l’un pratiquant la lutte depuis trois ans et demi au jour de l’accident et étant licencié en catégorie « senior compétiteur », et l’autre pratiquant la lutte depuis quatre mois et étant licencié en catégorie « junior compétiteur ».
Au regard de ces éléments, « l’entraîneur de lutte était soumis à une obligation contractuelle de sécurité de moyens renforcée » et non une simple obligation de sécurité de moyens.
Par ailleurs, la Cour de cassation prend soin d’indiquer que l’entraîneur ne pouvait ignorer, compte tenu de son expérience, que la saisie pratiquée par le participant expérimenté, était porteuse d’un risque majeur de lésions cervicales graves et irréversibles, compte tenu, en outre, du caractère néophyte de la victime, qui la privait de la capacité d’adopter la réaction appropriée à l’action de son adversaire.
Par conséquent, en n’ayant pas empêché l’action du participant expérimenté à l’origine du dommage corporel subi par la victime, l’entraîneur a manqué à son obligation de sécurité, engageant ainsi la responsabilité de l’USI.
Dès lors, l’USI et son assureur seront bien tenus d’indemniser l’ensemble des préjudices subis par le participant devenu tétraplégique.