Les directives anticipées d’un patient ne s’imposent pas aux médecins lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale
Un homme, né le 10 octobre 1978, a été victime, le 18 mai 2022, d’un polytraumatisme grave, compliqué par un arrêt cardio-respiratoire, après son écrasement par un véhicule utilitaire sur lequel il effectuait des réparations.
Cet accident a notamment été à l’origine d’une absence d’oxygénation du cerveau pendant 7 minutes.
Admis au sein du Centre Hospitalier de VALENCIENNES et pris en charge par le service de réanimation, le patient a été placé dans le coma afin de stabiliser son état de santé.
Un suivi et des examens médicaux ont été réalisés les 20 et 30 mai 2022, établissant l’absence de réflexes du tronc cérébral, hormis le réflexe oculo-cardiaque et un réflexe de ventilation spontanée insuffisant pour envisager une cessation de la ventilation mécanique.
Ces examens ont également établi l’absence d’activité cérébrale et des lésions anoxiques sévères.
Après étude du dossier par les équipes neuro/radio et éthique du Centre Hospitalier de VALENCIENNES et le recueil de l’avis de réanimateurs extérieurs relevant du Centre Hospitalier Universitaire de LILLE, l’état du patient a été considéré comme insusceptible d’amélioration.
Dans ces conditions, l’équipe médicale du Centre Hospitalier de VALENCIENNES a considéré que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable dans ces traitements apparaissant inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.
La procédure collégiale, prévue à l’article R.4127-37-2 du Code de la Santé Publique, a ainsi été engagée et a conduit à une décision du 1er juin 2022 d’arrêt des soins et des traitements le 9 juin suivant.
Toutefois, par ordonnance du Juge des Référés du Tribunal Administratif de LILLE en date du 8 juin 2022, l’exécution de cette décision a été suspendue en raison de l’existence d’une lettre manuscrite datée du 5 juin 2020, adressée par le patient à son médecin traitant, qui n’avait pas été portée auparavant à la connaissance des équipes du Centre Hospitalier de VALENCIENNES et dont il résulte que sa validité n’était pas critiquée.
Dans ce courrier, le patient faisait connaître à son médecin traitant ses directives anticipées, notamment son souhait, dans l’hypothèse où il ne serait plus en mesure de s’exprimer, d’être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.
En conséquence, la procédure collégiale a été reprise par le Centre Hospitalier de VALENCIENNES, laquelle a abouti à une nouvelle décision d’arrêt des soins le 15 juillet 2022, écartant les directives anticipées du patient comme manifestement inappropriées ou non conformes à sa situation médicale.
En effet, après plusieurs réunions, de nouveaux examens, notamment des IRM et des électroencéphalogrammes, et des consultations extérieures, le maintien des actes et traitements est apparu à l’équipe médicale inutile et même disproportionné et comme n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie sans aucune perspective raisonnable d’amélioration.
L’épouse et la sœur du patient ont, une nouvelle fois, saisi le Juge des Référés du Tribunal Administratif de LILLE afin de solliciter la suspension de l’exécution de la décision du 15 juillet 2022 du chef de Service de réanimation du Centre Hospitalier de VALENCIENNES portant arrêt des soins.
Par ordonnance de référé en date du 22 juillet 2022, le Tribunal Administratif de LILLE a rejeté leur demande.
Par requête et par mémoire en date des 25 et 29 juillet 2022, l’épouse et la sœur du patient ont contesté cette décision et saisi le Juge des Référés du Conseil d’Etat afin d’annuler l’ordonnance en date du 22 juillet 2022 et d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du Centre Hospitalier de VALENCIENNES du 15 juillet 2022.
Subsidiairement, elles demandent au Conseil d’Etat d’ordonner une expertise médicale en vue de déterminer la situation médicale de leur mari et frère et, dans l’attente des résultats de cette expertise, d’ordonner la poursuite des soins.
Par ailleurs, par un mémoire distinct enregistré le 29 juillet 2022, l’épouse et la sœur du patient demandent au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l’article L.1111-11 du Code de la Santé Publique.
Cet article dispose en effet que :
« Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
L’épouse et la sœur soutiennent que ces dispositions sont applicables au litige, qu’elles n’ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question de leur conformité au droit au respect de la vie, ou à tout le moins à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine résultant du préambule de la Constitution de 1946, à la liberté de conscience garantie par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et à la liberté personnelle garantie par les articles 1er, 2 et 4 de ce même texte présente un caractère nouveau et sérieux.
Elles ajoutent qu’en prévoyant que des directives anticipées de poursuites des soins et traitements ne s’imposent pas au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement dans le cas où ces directives « apparaissent manifestement inappropriées ou non conforme à la situation médicale », conduisant alors à mettre fin à la vie du patient contre sa volonté, ces dispositions méconnaissent les textes précités.
Elles soutiennent également qu’en tout état de cause la possibilité d’écarter des directives anticipées dans une telle hypothèse de refus d’arrêt des soins et traitements prodigués n’est pas suffisamment encadrée, l’expression « manifestement inappropriées » étant imprécise, aucun délai de réflexion n’étant ménagé et la décision étant prise de manière collégiale mais par le seul médecin en charge du patient.
Par arrêt en date du 19 août 2022 (Conseil d’Etat, Juge des Référés, Formation Collégiale, 19 août 2022, N°466082), le Conseil d’Etat a fait droit à l’argumentation des requérantes.
Comme l’indique le Conseil d’Etat, « Les dispositions contestées du troisième alinéa de l’article L.1111-11 du Code de la Santé Publique sont applicables au litige. Elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, la décision n°2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil Constitutionnel, si elle les mentionne dans ses motifs, ne les ayant pas déclarées conformes à la Constitution dans son dispositif et ne pouvant dès lors, contrairement à ce qui est soutenu en défense, être considérée comme ayant statué sur la question. Les moyens tirés de la méconnaissance par le troisième alinéa de l’article L.1111-11 du code de la santé publique des droits et libertés garantis par la Constitution qu’invoquent les requérantes présente un caractère sérieux et soulève, au regard des droits constitutionnels en cause et de la portée d’une décision d’arrêter un traitement médical, une question nouvelle au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ».
Par conséquent, le Conseil d’Etat a transmis au Conseil Constitutionnel la Question Prioritaire de Constitutionnalité soulevée par l’épouse et la sœur du patient.
De plus, en attendant que le Conseil Constitutionnel ne statue, le Conseil d’Etat a ordonné, à titre conservatoire, au Centre Hospitalier de VALENCIENNES de ne pas exécuter la décision du 15 juillet 2022 d’arrêt des soins prodigués au patient.
Or, le 10 novembre 2022, le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision (Décision du Conseil Constitutionnel en date du 10 novembre 2022, n°2022-1022 QPC).
Aux termes de cette décision, les sages de la rue Montpensier ont déclaré les dispositions de l’article L.1111-11 du Code de la Santé Publique conformes à la Constitution.
Comme cela est rappelé, les dispositions contestées permettent au médecin d’écarter les directives anticipées d’un patient, notamment lorsqu’elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale de ce patient.
Selon le Conseil Constitutionnel, ces directives anticipées ne s’auraient s’imposer au médecin dès lors qu’elles ont été rédigées à un moment où la personne ne se trouvait encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ecarter ces directives anticipées permet de garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie.
Par ailleurs, comme le précise le Conseil Constitutionnel, les dispositions de l’article L.1111-11 du Code de la Santé Publique ne permettent pas d’écarter toutes les directives anticipées des patients mais uniquement celles « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient. Selon la Haute Juridiction, ces dispositions ne sont ni imprécises, ni ambiguës.
Enfin, toujours selon le Conseil Constitutionnel, la décision de ne pas respecter les directives anticipées d’un patient est encadrée par des garanties suffisantes. En effet, cette décision du médecin ne peut être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale destinée à l’éclairer. Elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches. Au surplus, la décision du médecin peut être soumise au contrôle du juge. En effet, elle est notifiée dans des conditions permettant à la personne de confiance ou, à défaut, à sa famille ou à ses proches, d’exercer un recours en temps utiles. Ce recours est, par ailleurs, examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée.
Dès lors, selon la Haute Juridiction, les dispositions de l’article L.1111-11 du Code de la Santé Publique ne sont pas contraires aux principes constitutionnels de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de liberté personnelle.
Par conséquent, les directives anticipées d’un patient ne s’imposent pas aux médecins lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.