Infiltration péridurale et responsabilité du médecin en cas d’atteinte à un organe ou un tissu que son intervention n’impliquait pas

Infiltration péridurale et responsabilité du médecin en cas d’atteinte à un organe
Publié le 24/03/25

Souffrant de douleurs chroniques d’origine arthrosique, associées à des céphalées, une patiente a été reçue en consultation par un médecin libéral, lequel a programmé la réalisation de quatre infiltrations péridurales cervicales et lombaires, espacées d’une semaine, à compter du 5 mars 2013.

A la suite de la seconde infiltration, pratiquée le 12 mars 2013, la patiente a ressenti un engourdissement de l’hémicorps droit avec des troubles thermo-algiques, qu’elle a signalé aux infirmières.

Prévenu par ces dernières, le médecin libéral a estimé qu’il s’agissait d’une exacerbation post-injection et a prescrit un traitement antalgique.

Le retour à domicile de la patiente a été autorisé.

Lors de la consultation du 19 mars 2023, elle s’est plainte au médecin d’une perte de sensibilité du côté droit, d’une sensation d’étau au niveau de la cage thoracique et d’une importante douleur au bras.

Ce dernier n’a pas réalisé la troisième infiltration prévue.

La patiente a ensuite été prise en charge par un médecin neurologue. 

Une IRM, réalisée le 2 avril 2013, a permis de mettre en évidence un hyper signal flou et mal limité intramédullaire, centromédullaire et plutôt postérieur, situé au regard du corps vertébral de C-5.

Après hospitalisation de la patiente du 18 au 19 avril 2013, au sein d’un Centre Hospitalier Universitaire, il a été conclu à l’apparition d’un trouble sensitif de l’hémicorps droit en rapport à un geste d’infiltration épidural, compliqué d’une brèche durale avec hypotension intracrânienne et un traumatisme médullaire. 

Par actes d’Huissiers de Justice en date des 10 et 13 février 2017, la patiente a assigné le médecin devant le Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE, aux côtés de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Haute-Garonne, afin de solliciter l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire. 

Par ordonnance en date du 13 avril 2017, le Juge des Référés a fait droit à la demande d’expertise judiciaire.

L’Expert Judiciaire a déposé son rapport définitif le 31 octobre 2017.

Aux termes de celui-ci, il considère que l’indication d’infiltrations était justifiée devant les signes cliniques et la résistance aux médicaments, que le matériel utilisé par le médecin, la réalisation du geste technique et la confirmation du positionnement de l’aiguille par scopie avaient été adaptés aux données acquises de la science.

Au vu du résultat de l’IRM et de la symptomatologie de brèche dure-mérienne, il retient une effraction de l’aiguille dans la dure-mère touchant la partie postérieure de la moelle, responsable des troubles de sensibilité de la patiente.

Il conclut néanmoins à un accident médical non fautif en retenant, au vu du faible espace péridural au niveau cervical (pas plus de 2 mm), la dure-mère et la moelle épinière se trouvant juste derrière, que cette situation rendait le geste plus à risque que pour une infiltration au niveau lombaire et que, si le repérage radiologique ou scanographique était recommandé pour le bon positionnement de l’aiguille, il ne permettait pas d’éliminer une ponction trop lointaine, les espaces étant très réduits au niveau de C5, la brèche dure-mérienne étant une complication pouvant survenir même lors d’un geste adapté. 

La patiente a alors assigné le médecin ayant réalisé les infiltrations et son assureur responsabilité civile professionnelle devant le Tribunal Judiciaire de TOULOUSE aux fins d’indemnisation de ses préjudices et ce, aux côtés de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Haute-Garonne.

Par jugement en date du 7 mars 2022, le Tribunal Judiciaire de TOULOUSE a déclaré le médecin responsable et l’a condamné, avec son assureur responsabilité civile professionnelle, à indemniser les différents préjudices subis par la patiente.

Par déclaration en date du 2 juin 2022, le médecin et son assureur ont interjeté appel de cette décision.

Toutefois, par arrêt en date du 29 janvier 2025 (Cour d’Appel de TOULOUSE, 29 janvier 2025, RG n°22/02083), la Cour d’Appel de TOULOUSE a confirmé le jugement rendu en première instance, en toutes ses dispositions.

S’agissant de la responsabilité du médecin, la Cour d’Appel de TOULOUSE prend soin de rappeler que : 

« Selon les dispositions de l’article L 1142-1 du code de la santé publique ‘Hors les cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut de produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code ainsi que tout établissement, service, ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. 

Cette faute doit par principe être prouvée, étant rappelé que le médecin est tenu d’une obligation de moyens. 

Néanmoins, l’atteinte portée par un praticien en accomplissement d’un geste chirurgical à un organe ou tissu que son intervention n’impliquait pas est fautive en l’absence de preuve par celui-ci d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l’aléa thérapeutique. 

En l’espèce, il est établi tant par le rapport d’expertise judiciaire que les documents produits au débat par Mme [A] que : 

– Mme [A] atteinte de douleurs chroniques irréductibles correspondant à l’ensemble de son hémicorps droit sur de l’arthrose, associées à des céphalées non pulsatiles, relevant notamment, selon Irm cervicale du 25 janvier 2013, d’une uncodiscarthrose prédominant aux étages C4-C5-, C5-C6, C6-C7, avec des rétrécissements foraminaux étagés sans signe de conflit disco-radiculaire, s’est vu proposer, après échec d’une thérapie antalgique par voie orale, par le docteur [G], une série d’infiltrations péridurales cervicales combinées à chaque fois à une infiltration centrée sur l’innervation des zygapophyses droites, 

-l’infiltration rachidienne est le traitement adapté pour les douleurs d’origine rachidiennes en l’absence d’efficacité des traitements médicamenteux, le but des infiltrations dans les conflits radiculaires étant d’injecter une forte concentration locale de produits actifs pour limiter la libération des médiateurs de l’inflammation, 

-Mme [A] a subi, après une première infiltration péridurale réalisée le 5 mars 2013 au niveau de C6-C7 par le docteur [G] sans complication, une seconde infiltration péridurale le 12 mars 2013 au niveau de C5-C6 réalisée par le même médecin, des suites de laquelle elle a présenté un tableau d’hypoesthésie (diminution de la sensibilité) du membre inférieur droit, de l’hémitronc et du membre supérieur droit avec un niveau C6, associée à une hyperpathie (syndrome douloureux), puis un tableau de céphalées associé à une diplopie et une hypoacousie droite,

 -hospitalisée du 18/04 au 19/04/2013 dans le service de Neurologie 41 du Professeur [Y] [K], les examens complémentaires demandés par Irm cervico-dorsale, ont retrouvé un hypersignal centro-médullaire C5, 

– une Irm cérébrale a retrouvé une prise de contraste méningée diffuse, 

-un diagnostic de traumatisme médullaire en regard de C6 associé à des signes d’hypotension intracrânienne a été posé par les docteurs [U] et [B] du CHU de [10], concluant à un trouble sensitif de l’hémicorps droit en rapport à un geste d’infiltration épidurale compliqué d’une brèche durale avec hypotension intracrânienne et d’un traumatisme médullaire. 

L’expert judiciaire a retenu, sans être remis en cause sur ce point, que la symptomatologie de brèche dure-mérienne associée à l’hypersignal à l’Irm indiquait une effraction de l’aiguille dans la dure-mère lors de l’infiltration réalisée le 12 mars 2013 et touchant la partie postérieure de la moelle épinière, responsable des troubles de sensibilité de Mme [A]. 

Le geste d’infiltration réalisé par le docteur [G] a donc entraîné une effraction dans la dure-mère, touchant la partie postérieure de la moelle épinière, à savoir des organes étrangers à l’espace péridural, seul siège concerné par l’injection, effraction que la réalisation de ladite infiltration n’impliquait pas en elle-même, et qui est en lien direct de causalité avec les troubles sensitifs sus décrits qui ont suivi. 

Il appartient dès lors au docteur [G] d’établir que cette effraction de la dure-mère par l’aiguille de Tuohy utilisée lors de l’infiltration, aiguille destinée à rechercher, ainsi que l’explique l’expert judiciaire, la perte de résistance au mandrin liquide pour repérer l’espace péridural entre C5-C6, seul siège de l’infiltration, pour assurer un bon positionnement, ressort, comme il le soutient d’un aléa thérapeutique, à savoir, que cette effraction résultait d’un risque inhérent à l’intervention qui ne pouvait être maîtrisé. 

Une telle preuve n’est pas rapportée en l’espèce. 

En effet, l’expert judiciaire a précisé dans son rapport au regard de la littérature médicale, notamment une étude de Botwin, que la tolérance de la technique est globalement bonne, que l’incidence globale des complications était de l’ordre de 16,8 %, dont 0,3 % pour la brèche durale. Ce risque représente en conséquence 3 cas pour 1.000, soit un risque plutôt faible, une autre étude « Hodge » rapportant, sur un panel non précisé, le cas de deux blessures médullaires. La faiblesse de ce risque est confirmée par le fait que le docteur [G] a admis lors de l’expertise judiciaire qu’il n’avait pas évoqué avec la patiente le risque de brèche de la dure-mère (pages 14 et 15 du rapport d’expertise). 

Ce risque est inhérent à la localisation de l’espace péridural qui s’étend sur toute la hauteur du rachis, situé entre la dure-mère et le ligament jaune et dont la taille varie en fonction de la localisation (5-6 mm en lombaire, 3-5 mm en thoracique et 2 mm en cervical), l’expert précisant qu’au niveau cervical les rapports anatomiques entre l’espace péridural, la dure-mère et la moelle épinière sont contigus. 

Même si l’expert indique que la brèche dure-mérienne est une complication qui peut arriver même lors d’un geste adapté, en l’espèce le docteur [G] ne justifie pas avoir pris toutes les précautions utiles pour éviter la brèche dure-mérienne et l’effraction rachidienne. 

En effet, il ressort du rapport d’expertise judiciaire que la procédure d’infiltration était soumise à un protocole écrit prévoyant, après la pose d’une voie veineuse périphérique, une sédation par Propofol, Midazolam et Sufenta, l’installation du patient en décubitus ventral, et la réalisation de la ponction avec aiguille de Tuahy (extrémité moins pointue et recourbée) sous contrôle scopique et utilisation de la technique du mandrin liquide pour le repérage de l’espace péridural. 

Il n’est pas justifié en l’espèce de la réalisation effective d’un guidage scopique efficient de l’aiguille de Tuohy. En effet en page 4 de son rapport l’expert précise qu’en l’espèce un simple cliché radiologique a été fait pour les infiltrations. Le docteur [G] venait de lui indiquer qu’il réalisait un cliché radiologique en systématique pour la localisation de l’aiguille de ponction et qu’en cas de geste de réalisation difficile ou d’un doute sur le positionnement, une injection de produit de contraste était effectuée. 

Il n’y a donc pas eu en l’espèce réalisation de l’infiltration sous scopie comme prévu au protocole écrit, le guidage sous scopie impliquant un contrôle sous radiographie, scanner, ou échographie en continu en temps réel ou par contrôles répétés afin de garantir un maximum de sécurité au geste. 

Par ailleurs, la fiche d’administration péridurale concernant Mme [A] produite en pièce 3 par les appelants établit qu’en l’espèce il n’y a pas eu injection d’un produit de contraste pour la seule et unique vérification radiologique réalisée pour s’assurer de la bonne position de l’aiguille. L’image radiologique réalisée n’a au demeurant pas été communiquée. La vérification du bon positionnement de l’aiguille n’est donc pas possible. Or, si comme l’indique l’expert, en raison des espaces très réduits au niveau de C5 entre l’espace péridural, la dure-mère et la moelle épinière, l’éventualité d’une ponction trop lointaine ne pouvait être éliminée, la réalisation d’un guidage sous scopie conformément au protocole et, a minima, un contrôle radiologique avec produit de contraste pour vérifier le bon positionnement de l’aiguille s’imposaient. 

En conséquence, il ne peut qu’être retenu qu’en l’espèce le docteur [G] n’a ni respecté le protocole écrit ni pris toutes les précautions nécessaires pour éviter le risque de brèche dure-mérienne, de sorte que le premier juge a justement décidé qu’il était responsable du préjudice subi par Mme [A] à la suite de l’intervention du 12 mars 2013 pour ne pas rapporter la preuve lui incombant de l’existence d’un aléa thérapeutique de nature à écarter la présomption de faute découlant de l’atteinte à un organe que l’intervention n’impliquait pas. La décision entreprise doit être confirmée sur ce point. 

Consécutivement, il a aussi justement retenu, au regard du droit à indemnisation intégral découlant de la décision de responsabilité, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner un éventuel manquement à l’obligation de suivi ou encore au devoir d’information, lequel n’aurait pu justifier qu’une indemnisation du préjudice d’impréparation, non invoqué en l’espèce, ou encore de la seule perte de chance d’éviter le préjudice ».

Comme le rappelle la Cour d’Appel de TOULOUSE, il appartient, en principe, au patient de rapporter la preuve d’une faute commise par le praticien dans le cadre de sa prise en charge. 

Toutefois, comme le précise également la Cour d’Appel de TOULOUSE, l’atteinte, portée par un praticien, en accomplissant un geste chirurgical, à un organe ou tissu que son intervention n’impliquait pas, est fautive en l’absence de preuve par celui-ci d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maitrisé, relève de l’aléa thérapeutique. 

Ainsi, en cas d’atteinte portée par un praticien à un organe ou tissu que son intervention n’impliquait pas, une présomption simple de faute à l’encontre de celui-ci est instaurée et un renversement de la charge de la preuve est opéré. 

En effet, il appartient alors au praticien de démontrer que cette atteinte était inévitable ou qu’il s’agissait d’un risque inhérent à l’intervention, qui ne pouvait être maitrisé. 

Or, en l’espèce, le praticien échouait à rapporter une telle preuve, de telle sorte que sa responsabilité a été retenue.

Le médecin et son assureur responsabilité civile professionnelle seront donc tenus d’indemniser l’intégralité des préjudices subis par la victime. 

Cette solution de la Cour d’Appel de TOULOUSE est conforme à la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cour de cassation, première chambre civile, 25 mai 2023, n°22-16.848).

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