Commercialisation de steaks avariés et délit de blessures involontaires
Au mois de juin 2011, seize enfants du Département du Nord ont présenté les symptômes d’un syndrome hémolytique et urémique (SHU), dû à la bactérie Escherichia Coli (E-coli 0157H7), susceptible d’engendrer une insuffisance rénale aigüe.
Après enquête, il est apparu que tous les enfants concernés avaient consommé de la viande hachée, élaborée le 11 mai 2011 par la Société SEB et vendue à la société LIDL.
Sur les 13 unités de production dénommées « mêlées » fabriquées ce jour-là, seules 3 avaient fait l’objet d’une recherche en E-coli, dont l’une avait donné un résultat non satisfaisant de 770 E-coli par gramme, dépassant le seuil de déclenchement de la recherche d’E-coli O157H7, fixé à 150 par gramme et ce, en application du plan de maîtrise sanitaire validé par l’administration (PMS 2).
Or, aucune recherche de cette nature n’avait été effectuée.
A l’issue de l’information judiciaire, le gérant de la société SEB a été renvoyé devant le Tribunal Correctionnel pour avoir, par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, causé une incapacité totale de travail supérieure à trois mois au préjudice d’un enfant et une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois au préjudice de quinze autres enfants.
Le gérant de la société SEB a également été poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles des steaks hachés dont la consommation est dangereuse pour la santé de l’homme, pour mise sur le marché de produits d’origine animale dangereux et détention de denrées servant à l’alimentation de l’homme falsifiées, corrompues ou toxiques nuisibles à la santé de l’homme.
Par arrêt en date du 26 février 2019, la Cour d’Appel de DOUAI l’a condamné à trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et 50.000 euros d’amende, à une interdiction professionnelle définitive, à une interdiction définitive de gérer une entreprise commerciale, a ordonné une mesure de confiscation et une mesure de publication, et l’a déclaré responsable des préjudices subis par les parties civiles.
Le gérant de la société SEB s’est toutefois pourvu en cassation à l’encontre de cette décision, estimant que les dispositions des articles 121-3, 222-19 et 222-20 du Code Pénal aurait été violées par la Cour d’Appel de DOUAI.
Comme le rappelle l’article 121-3 du Code Pénal :
« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.
Il n’y a point de contravention en cas de force majeure ».
Par ailleurs, l’article 222-19 du même code dispose que :
« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende ».
Enfin, l’article 222-20 du Code Pénal précise que :
« Le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
En application des dispositions précitées, pour que les personnes physiques, qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, puissent être condamnées pénalement pour blessures involontaires, trois conditions doivent être impérativement et cumulativement remplies.
Tout d’abord, il doit être rapporté la preuve d’une violation volontaire d’une obligation ; en l’espèce, cette condition ne posait pas de difficulté puisqu’il ressortait de l’enquête que des marchandises avaient été mises sur le marché alors que trois unités de production sur treize avaient eu des résultats d’analyses non satisfaisants.
Ensuite, il doit être démontré la violation d’une obligation particulière de prudence et de sécurité : là encore, cette condition ne prêtait pas à discussion puisque le gérant de la société SEB s’était volontairement abstenu de déclencher une analyse de l’ensemble des denrées alimentaires à l’issue de résultats d’analyse insatisfaisants.
Il convient de préciser que, pour être particulière, l’obligation doit être suffisamment précise et imposer un mode de conduite précis.
Enfin, il doit être impérativement caractérisé une obligation posée par la loi ou le règlement.
En effet, pour que la responsabilité pénale de l’auteur puisse être retenue, il doit exister un support textuel préalable, contenant une obligation particulière de prudence ou de sécurité.
Pour entrer en voie de condamnation, les juges doivent donc rechercher le texte édictant l’obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon délibérée.
De plus, les Juges doivent s’assurer que l’obligation visée par le texte se trouve dans la loi ou le règlement.
Or, aux termes de son pourvoi, le gérant de la société SEB soutenait que les trois conditions prévues par l’article 121-3 du Code Pénal n’étaient pas remplies dans la mesure où :
– le règlement CE n°178/2002 du 28 janvier 2002, qui établit les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, notamment en matière de sécurité des denrées alimentaires, constitue une norme générale et n’institue dès lors pas une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;
– le Plan de Maîtrise Sanitaire de la société SEB ne constituait pas une loi ou un règlement au sens de l’article L.121-3 du Code Pénal ;
Toutefois, par arrêt en date du 31 mars 2020 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 mars 2020, Pourvoi n°19-82171), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté l’argumentation développée par le gérant de la société SEB et confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de DOUAI.
Comme le rappelle la Cour de cassation, en matière de viandes hachées, le règlement CE 853/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 prévoit que les matières premières ne peuvent provenir que d’ateliers de découpe agréés.
L’agrément délivré par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations suppose que le professionnel ait mis en place des contrôles de conformité des produits qu’il réceptionne et qu’il fabrique en établissant un plan de maîtrise sanitaire (PMS) qui doit obligatoirement prendre en compte le risque lié à la contamination E-coli et par la bactérie E-coli 0157H7 et être approuvé par l’administration.
Après avoir également rappelé les principales dispositions du règlement CE n°175/2002 du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2002, la Cour de cassation rappelle que le PMS est un élément essentiel d’une entreprise alimentaire, en particulier de fabrication de viande hachée surgelée, et que, le 11 mai 2011, le PMS 2 validé par l’administration n’a pas été respecté, aucune analyse des matières premières n’ayant eu lieu et aucune analyse en E-coli 0157H7 des produits finis n’ayant été pratiquée, alors qu’elle s’imposait à la suite de la découverte, sur une partie de ces produits, d’un taux préoccupant de 770/g d’E-coli « classique ».
En mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux sans faire réaliser les analyses qui s’imposaient, le gérant de la société SEB a violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement CE n°178/2002.
Ainsi, selon la Cour de cassation, les prescriptions dudit règlement constituent bien des obligations particulières de prudence et de sécurité.
En ne les respectant pas, le gérant de la société s’est donc rendu coupable de blessures involontaires à la suite de la distribution de steaks hachés avariés.
Sa condamnation à trois ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis, et 50.000 euros d’amende, est donc confirmée par la Cour de cassation.
Par ailleurs, le gérant de la société SEB est déclaré responsable des préjudices subis par les victimes et sera tenu d’indemniser intégralement leurs préjudices.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.