Coma artificiel et souffrances endurées
Le 12 décembre 2007, une jeune femme, âgée de 23 ans au moment des faits, a été hospitalisée au sein d’une clinique privée afin d’y subir deux interventions courantes : d’une part une biopsie utérine par curetage et, d’autre part une coelioscopie, destinées à poser un diagnostic sur des douleurs pelviennes.
Le soir même, le compagnon de la patiente et ses parents ont été reçus par la directrice de la clinique, par le médecin anesthésiste réanimateur présent lors de l’intervention ainsi qu’un autre médecin anesthésie réanimateur, lesquels les ont alors informés que la jeune femme avait subi, au cours de l’intervention, un bronchospasme à l’origine d’un arrêt cardiaque de quelques minutes.
Ils ajoutaient que la patiente avait pu être réanimée, placée sous coma thérapeutique et transférée au Centre Hospitalier de DUNKERQUE.
Toutefois, le 21 janvier 2008, deux courriers anonymes ont été adressés simultanément à la famille de la patiente ainsi qu’au Centre Hospitalier de DUNKERQUE, contestant les explications données sur les circonstances de l’accident par le médecin anesthésiste réanimateur en charge de l’opération.
Les courriers précisaient que la patiente avait, en réalité, été victime d’une anoxie prolongée après déconnexion de la sonde endotrachéale alors que le médecin anesthésiste réanimateur était absent de la salle d’opération.
Une expertise médicale de la patiente a notamment conclu à une incapacité permanente partielle de 99%.
À l’issue d’une information judiciaire au cours de laquelle d’autres expertises médicales ont été réalisées, le médecin anesthésiste réanimateur en charge de l’intervention a été renvoyé devant le Tribunal Correctionnel du chef de blessures involontaires pour avoir laissé sans surveillance une patiente placée sous anesthésie générale, lesdites blessures ayant entraîné une incapacité de travail de plus de trois mois.
Le Tribunal Correctionnel a néanmoins relaxé le médecin réanimateur des fins de la poursuite.
Le Procureur de la République et les parties civiles ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt en date du 25 septembre 2017, la Cour d’Appel de DOUAI a infirmé le jugement rendu en première instance et déclaré le médecin anesthésiste réanimateur coupable d’avoir involontairement causé une incapacité totale de travail de plus de trois mois à sa patiente en la laissant sans surveillance alors qu’elle était placée sous anesthésie générale.
Le médecin anesthésiste réanimateur s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision.
Néanmoins, par arrêt en date du 15 janvier 2019 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 janvier 2019, Pourvoi n°17-86461), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le médecin anesthésiste réanimateur et confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de DOUAI ;
Comme le rappelle la Cour de cassation :
« l’anesthésie générale est par nature un acte exigeant une surveillance continue et qualifiée, tout incident susceptible de survenir exposant le patient à de graves conséquences neurologiques ou vitales, que si Mme Y…, affirme avoir dit au personnel en quittant la salle d’opération « surveillez-la » (en parlant de Mme B…), cela n’est pas confirmé par les témoignages de l’équipe soignante et que Mme Y…, n’a pas donné de consignes précises à suivre pendant son absence ; que les juges ajoutent que cela est d’autant plus fautif qu’elle savait que le gynécologue en charge de l’opération avait, avant de s’absenter, demandé à ce que Mme B… soit préparée pour la seconde, ce qui impliquait sa mobilisation, passant de la position gynécologique en position couchée et qu’elle ne s’est pas assurée de ce qu’un personnel suffisamment qualifié prenne en charge la surveillance de Mme B…, puisque seule une infirmière de bloc opératoire et non une infirmière anesthésique était restée sur place ; que les juges précisent que l’infirmière de bloc opératoire n’a pas réagi lors du déclenchement de l’alarme sonore du monitoring suite à la déconnexion du tube du respirateur, occupée à des tâches rentrant directement dans ses attributions (préparation du matériel) et non formée au suivi anesthésique ; que les juges en concluent qu’en laissant sa patiente, toujours placée sous anesthésie générale, sans surveillance par un personnel habilité au moment critique qu’est par nature le changement d’intervention, avec des mouvements de personnel, un changement de matériel induisant une baisse de vigilance, et une éventuelle mobilisation, Mme Y…, a commis une faute caractérisée qui a exposé Mme B… à un risque d’une particulière gravité, inhérent à toute anesthésie générale, que tout médecin anesthésiste ne peut ignorer de par sa formation ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que les fautes caractérisées commises par Mme Y… ont contribué de façon certaine à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, nonobstant l’imparfaite organisation des services qui ne peut être considérée comme la cause exclusive du dommage, les juges ne pouvant par ailleurs se prononcer sur les responsabilités éventuelles d’autres intervenants des agissements desquels ils n’étaient pas saisis, la cour d’appel a justifié sa décision ».
La Cour de cassation confirme donc la condamnation pénale prononcée à l’encontre du médecin anesthésiste réanimateur.
Outre la culpabilité, la Cour de cassation confirme également les sommes allouées à la victime et ses proches en réparation de leurs préjudices, notamment concernant les souffrances endurées par la patiente.
En effet, aux termes de son arrêt en date du 25 septembre 2017, la Cour d’Appel de DOUAI avait alloué à la victime la somme de 50.000 euros au titre de ses souffrances endurées évaluées à 6 sur une échelle de 1 à 7.
Aux termes de son pourvoi, le médecin anesthésiste réanimateur contestait l’allocation d’une telle somme à la victime, précisant que la patiente « était placée sous anesthésie générale puis sous coma artificiel, ce qui impliquait nécessairement l’absence de toute douleur physique ».
Selon le médecin anesthésiste réanimateur, aucune indemnité ne devait donc être allouée au titre des souffrances endurées dès lors que la patiente était en coma artificiel, en état végétatif.
Dans son arrêt en date du 15 janvier 2019 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 janvier 2019, Pourvoi n°17-86461), la Cour de cassation n’a pas fait droit à une telle argumentation et a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de DOUAI.
Comme le rappelle la Cour de cassation, l’état végétatif chronique d’une victime n’exclut aucun chef d’indemnisation ; son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments.
Par conséquent, peu importe qu’un patient soit en coma artificiel, en état végétatif chronique, il a droit à la réparation intégrale de l’ensemble de ses préjudices, y compris les souffrances endurées.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.