Chute lors d’une course cycliste et rejet de la théorie de l’acceptation des risques
L’article 1242 alinéa 1er du Code civil (anciennement 1384 alinéa 1er du Code civil) dispose que l’on :
« est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
Pendant de très nombreuses décennies, cet alinéa était dépourvu de toute valeur juridique particulière et était surtout conçu comme un texte de transition entre, d’une part la responsabilité du fait personnel organisée aux articles 1240 et 1241 du Code civil (anciennement 1382 et 1383 du Code civil), et, d’autre part les cas spéciaux de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses.
L’alinéa 1er de l’article 1242 du code civil n’avait donc, dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, aucune valeur normative.
En effet, en 1804, lors de l’instauration du Code civil, les cas de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses étaient très limités.
Les seuls cas, organisés par le Code civil s’agissant du fait des choses, étaient la responsabilité du fait des animaux et la responsabilité du fait des bâtiments.
Ce n’est qu’à la suite de l’accroissement du nombre d’accidents liés à la Révolution Industrielle française puis au développement de la circulation automobile, que la Cour de cassation a été contrainte d’ériger, au fil de sa jurisprudence et sur la base de ce seul alinéa 1er, un régime général de la responsabilité du fait des choses.
Ce régime général est donc une création purement prétorienne, qualifiée de responsabilité objective ou quasi-objective.
Ce régime s’applique désormais dans un très grand nombre d’hypothèses et notamment en cas de chute d’une personne, à l’origine de dommages corporels.
Il importe peu que cette chute intervienne au domicile d’un tiers, dans un centre commercial, sur un parking privé, dans les parties communes d’un immeuble ou lors d’une compétition sportive.
Dès lors que les conditions définies par la Cour de cassation sont respectées, la victime d’une chute peut obtenir la réparation de l’ensemble de ses préjudices.
Les conditions d’indemnisation de la responsabilité du fait des choses :
En application du régime de la responsabilité du fait des choses, mis en place par la Cour de cassation, quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’une victime puisse être indemnisée de ses préjudices, à savoir :
- Un fait de la chose ;
- Un gardien de la chose ;
- Un dommage ;
- Un lien de causalité entre le fait de la chose et le dommage ;
Si les conditions liées au lien de causalité et au dommage n’appellent pas de remarque particulière, la Cour de cassation a, en revanche, au fil de ses décisions, apporté des précisions importantes relatives à la garde de la chose et au fait de cette chose.
A. Le fait de la chose :
Pour qu’elle puisse solliciter la réparation de ses préjudices sur le fondement des dispositions de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil, la victime doit tout d’abord rapporter la preuve de l’existence d’une chose, à l’origine de son dommage.
En principe, cette chose sera un bien meuble, inanimé, corporel, dangereux ou non, appartenant ou gardé par une personne.
La jurisprudence de la Cour de cassation et des juridictions du fond illustre régulièrement la diversité des choses qui peuvent être à l’origine d’un dommage (Ex : sol glissant, tapis, escalier, escalator, portes automatiques, neige, branches d’arbres, feuille de salade, boîte aux lettres, baie vitrée, bicylette…).
Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle de façon constante que, pour ouvrir droit à indemnisation au profit de la victime, cette chose doit avoir été l’instrument de son dommage.
Pour déterminer si une chose a, ou non, été l’instrument du dommage, la Cour de cassation opère une distinction entre les choses inertes et les choses en mouvement.
S’agissant des choses inertes, il est classiquement admis en jurisprudence qu’il appartient à la victime de rapporter la preuve que la chose à eu un rôle actif dans son accident.
Pour ce faire, la victime doit démontrer que la chose présentait une anormalité quant à son état, son positionnement, son fonctionnement ou son maniement.
En revanche, s’agissant des choses en mouvement comme un ascenseur, un escalator, une porte automatique, un ballon, la Cour de cassation considère de façon assez classique que, dès lors qu’il y a eu contact entre cette chose et la victime, le rôle actif doit être présumé.
En effet, dans cette hypothèse, il est vraisemblable que la chose en mouvement soit à l’origine du dommage.
C’est solution a été récemment rappelé dans un arrêt de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE en date du 13 septembre 2018 (Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, Chambre 10, 13 septembre 2018, RG n°17/07053).
En l’espèce, le 30 juillet 2009, un coureur cycliste a été victime d’une chute pendant qu’il participait à une épreuve de triathlon, organisée par une association sportive.
Alors qu’il se trouvait au 6ème kilomètre du parcours, deux autres coureurs, situées à sa droite, se sont percutés et l’ont entrainé dans leur chute, lui occasionnant différentes blessures.
Par ordonnance de référé en date du 15 octobre 2010, le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire.
Le 21 septembre 2011, l’Expert Judiciaire a déposé son rapport définitif.
La victime a alors assigné, devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE l’association sportive organisatrice de la course, son assureur, le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de dommages (le GFAO) et le coureur cycliste qui l’a heurté en réparation de ses préjudices et ce, en présence des organismes tiers payeurs.
Par jugement en date du 28 février 2017, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a débouté le coureur cycliste victime de l’intégralité de ses demandes.
Par déclaration en date du 10 avril 2017, ce dernier a interjeté appel du jugement précité.
Par arrêt en date du 13 septembre 2018, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE a infirmé le jugement rendu en première instance.
Comme le précise la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, le « vélo dont M. était le gardien est une chose en mouvement, qui a eu un rôle causal dans la chute dont M. a été victime, de telle sorte que sa responsabilité de plein droit pèse sur lui, sans que la victime ait a établir la preuve qu’une quelconque anormalité« .
Le vélo du coureur cycliste qui a heurté celui de la victime étant une chose en mouvement, le rôle actif a été présumé, sans qu’il n’incombe à la victime de rapporter la preuve d’une quelconque anormalité.
Dès lors, le coureur cycliste à l’origine de la chute a été déclaré responsable.
Toutefois, ce dernier ne sera pas tenu personnellement d’indemniser la victime puisque l’association sportive ayant organisé la course et son assureur sont contraintes, par la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE de relever et garantir l’auteur des faits de l’intégralité des condamnations prononcées à son encontre.
B. La garde de la chose :
S’agissant de la notion de garde, il est classiquement admis en jurisprudence que le propriétaire d’une chose en est présumé être le gardien.
Cependant, ce propriétaire a la possibilité de renverser cette présomption et de rapporter la preuve qu’il n’était pas gardien de la chose au moment du dommage.
En effet, depuis un arrêt de principe en date du 2 décembre 1941 (Cour de cassation, Chambres Réunies, 2 décembre 1941, Arrêt Franck), la Cour de cassation fait prévaloir la notion de garde matérielle.
Dans l’arrêt précité, une voiture, prêtée par un médecin à son fils, avait été volée et avait causé un accident. Les héritiers de la victime avaient alors intenté une action en responsabilité à l’encontre du propriétaire de la voiture.
Cependant, dans son arrêt en date du 2 décembre 1941, la Cour de cassation considère que, dès lors qu’un propriétaire n’exerce plus les pouvoirs que sont l’usage, le contrôle et la direction sur la chose, il n’en a plus la garde.
En définissant la garde de la chose comme la rencontre des pouvoir d’usage (se servir de la chose), de contrôle (être en position d’éviter les dysfonctionnements de la chose) et de direction (décider de la finalité de l’emploi de la chose), la Cour de cassation fait donc prévaloir la théorie de la garde matérielle ou effective de la chose sur celle de la garde juridique.
Seul celui qui exerçait effectivement les pouvoirs sur la chose au moment de l’accident sera responsable.
Par ailleurs, la Cour de cassation considère que la qualité de gardien est totalement indépendante de la faculté de discernement.
En effet, depuis un arrêt en date du 1er mars 1967 (Cour de cassation, Civile 2ème, 1er mars 1967), la Cour de cassation considère qu’une personne dépourvue de discernement peut parfaitement avoir la qualité de gardien de la chose.
Il en va de même pour les enfants (Cour de cassation, Assemblée Plénière, 9 mai 1984, Pourvoi n°80-14994, Arrêt Gabillet) ; un enfant, même en bas âge, peut parfaitement avoir la qualité de gardien.
Cette solution s’explique principalement par le fait que les particuliers sont assurés au titre de leur responsabilité civile.
A défaut d’une telle solution, une personne grièvement blessée pourrait ne pas être indemnisée dans la mesure où il serait rapporté la preuve que le gardien de la chose était dépourvu de discernement au moment de l’accident, ce qui pourrait alors laisser la victime dans une situation financière précaire.
La Cour de cassation s’efforce donc, dans la très grande majorité des cas, de trouver un responsable et donc un débiteur pouvant indemniser la victime.
Les causes d’exonération de la responsabilité du fait des choses :
Pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité, le propriétaire ou le gardien de la chose peut tenter de soulever différents moyens au soutien des intérêts, à commencer par l’absence de rôle actif de la chose dans la réalisation du dommage ; il peut en effet essayer de démontrer que sa chose n’a pas été l’instrument du dommage subi par la victime, qu’elle n’a eu qu’un rôle passif.
Par ailleurs, il peut tenter de faire valoir une cause étrangère, exonératoire de responsabilité.
En revanche, la théorie de l’acceptation des risques ne lui permet plus d’échapper à l’indemnisation des dommages corporels subis par la victime.
A. L’admission de la cause étrangère :
Le propriétaire ou le gardien de la chose peut tenter de se décharger de toute responsabilité en soulevant l’existence d’une cause étrangère, imprévisible et irrésistible.
Il peut s’agir aussi bien d’un cas de force majeur, du fait d’un tiers ou d’une faute de la victime.
Dans son arrêt en date du 13 septembre 2018, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE précise que (Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, Chambre 10, 13 septembre 2018, RG n°17/07053) :
« M. recherche à titre principal la responsabilité de M. sur le fondement de l’article 1242 al 1er du code civil qui institue une responsabilité de plein droit, objective, en dehors de toute notion de faute qui pèse sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage, sauf à prouver qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère, le fait d’un tiers imprévisible et irrésistible ou la faute de la victime« .
Pour être totalement exonératoire de responsabilité pour le propriétaire ou le gardien de la chose, la cause étrangère doit présenter les caractéristiques de la force majeure, c’est-à-dire être imprévisible et irrésistible.
A défaut de présenter de telles caractéristiques, la cause étrangère ne pourra qu’être partiellement exonératoire.
B. Le rejet de la théorie de l’acceptation des risques :
En l’espèce, dans l’arrêt de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE en date du 13 septembre 2018 (Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, Chambre 10, 13 septembre 2018, RG n°17/07053), le coureur cycliste à l’origine de la chute de la victime tentait de s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la théorie de l’acceptation des risques.
En s’inscrivant et en participant volontairement à l’épreuve de triathlon organisée par l’association sportive, le coureur cycliste victime aurait accepté les risques liés à la pratique de ce sport, ce qui justifierait le rejet de toute indemnisation à son profit.
Cependant, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE n’a pas fait droit à son argumentation.
En effet, l’article L.321-3-1 du Code du sport dispose que :
« Les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont sous leur garde, au sens du premier alinéa de l’article 1242 du code civil, à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique« .
Comme le rappelle à juste titre la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, l’article L.321-3-1 du Code du sport ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce.
En effet, cet article ne s’applique qu’en cas de dommages matériels.
Or, le coureur ayant chuté a été principalement victime de dommages corporels.
Dès lors que le coureur cycliste a été victime de dommages corporels, le gardien de la chose, instrument du dommage, ne peut pas lui opposer la théorie de l’acceptation des risques.
Le coureur cycliste victime sera donc bien indemnisé de l’ensemble de ses préjudices.
À défaut, le garagiste sera tenu d’indemniser ses clients.