Caractère d’ordre public de la responsabilité du fait des produits défectueux et rôle du juge

Caractère d’ordre public de la responsabilité du fait des produits défectueux et rôle du juge
Publié le 17/08/17

Dans un arrêt de Chambre Mixte en date du 7 juillet 2017 (Cour de cassation, Chambre Mixte, 7 juillet 2017, Pourvoi n°15-25651), la Cour de cassation est venue rappeler que :

« si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union Européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées ».

En l’espèce, le 27 avril 2004, un agriculteur exposait avoir été intoxiqué par les vapeurs d’un herbicide, commercialisé sous le nom de « Lasso » par la société MONSANTO, lors de l’ouverture d’une cuve de traitement sur un pulvérisateur.

Imputant l’origine de son dommage à l’insuffisance des mentions portées sur l’étiquetage et l’emballage du produit, l’agriculteur a alors assigné la société MONSANTO afin de la voir déclarer responsable de son préjudice, à titre principal sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil (siège de la responsabilité civile délictuelle) et à titre subsidiaire sur le fondement des articles 1147 et 1165 du Code civil (siège de la responsabilité contractuelle).

Par jugement en date du 13 février 2012, le Tribunal de Grande Instance de LYON a reconnu la responsabilité de la société MONSANTO sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil et ordonné une expertise médicale.

Par arrêt en date du 10 septembre 2015, la Cour d’Appel de LYON a confirmé le jugement rendu en première instance.

Pour déclarer la société MONSANTO responsable du préjudice subi par l’agriculteur sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil, la Cour d’Appel de LYON a relevé que cette société avait manqué à son obligation d’information et de renseignement en omettant de signaler les risques liés à l’inhalation de monochlorobenzène, présent en quantité importante dans le « Lasso » et de préconiser l’emploi d’un appareil de protection respiratoire, notamment pour le nettoyage des cuves.

Le 1er octobre 2015, la société MONSANTO s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.

Or, dans son arrêt de Chambre Mixte en date du 7 juillet 2017 (Cour de cassation, Chambre Mixte, 7 juillet 2017, Pourvoi n°15-25651), la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de LYON au visa de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 mettant en place le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, des articles 1386-1 et suivants du Code civil transposant cette directive européenne en droit interne, de l’article 12 du Code de procédure civile et des principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union Européenne.

Comme le relève la Cour de cassation, l’agriculteur victime avait choisi d’agir à l’encontre de la société MONSANTO, à titre principal sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil (siège de la responsabilité civile délictuelle) et à titre subsidiaire sur le fondement des articles 1147 et 1165 du Code civil (siège de la responsabilité contractuelle).

En revanche, l’agriculteur victime n’invoquait à aucun moment le régime de la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux, organisée aux articles 1386-1 et suivants du Code civil au motif, selon lui, que le produit phytosanitaire mis en cause avait été mis en circulation en 1968, année de son autorisation de mise sur le marché.

Selon lui, ce fondement juridique n’était donc pas pertinent pour agir à l’encontre de la société MONSANTO puisque le produit incriminé avait été mis sur le marché avant l’entrée en vigueur du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cependant, contrairement à ce qu’a considéré l’agriculteur victime, la Cour de cassation estime que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était bien applicable aux faits de l’espèce.

En effet, la Cour de cassation relève que l’agriculteur victime avait fait l’acquisition de ce produit en avril 2004 à une coopérative agricole qui l’avait elle-même acheté, deux ans plus tôt, à la société MONSANTO.

Selon la Cour de cassation, la « mise en circulation d’un produit » ne doit pas être confondue avec « l’autorisation de mise sur le marché ».

En effet, la mise en circulation d’un produit intervient, selon la Cour de Luxembourg quand celui-ci « est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu’il est rentré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve, en l’état, offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé ».

Par conséquent, selon la Cour de cassation, le produit litigieux avait été mis en circulation postérieurement à l’entrée en vigueur du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Ce régime était donc bien applicable aux faits de l’espèce.

Aussi, dans cette hypothèse là, lorsque le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était bien applicable aux faits de l’espèce mais qu’un justiciable n’a pas cru, à tort, devoir l’invoquer pour fonder son action en justice, les juges du fond étaient-ils tenus d’office de relever l’applicabilité de ce régime.

C’est cette question que vient trancher la Cour de cassation dans son arrêt de Chambre Mixte en date du 7 juillet 2017 (Cour de cassation, Chambre Mixte, 7 juillet 2017, Pourvoi n°15-25651).

Comme le rappelle la Cour de cassation dans son attendu de principe :

« si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union Européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées ».

Selon la Cour de cassation, les juges du fonds étaient tenus de relever d’office l’applicabilité du régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux, quand bien même l’agriculteur victime n’avait pas cru opportun d’invoquer ce fondement juridique dans ses écritures.

Par cette décision, la Cour de cassation souhaite donc rappeler la primauté du droit de l’Union Européenne sur le droit interne ainsi que la nécessité pour les juges du fonds d’assurer l’effectivité de ce régime spécial et exclusif de responsabilité qui a un caractère d’ordre public.

Par conséquent, cette affaire a été renvoyée devant la Cour d’Appel de LYON, autrement composée, afin qu’elle statue à nouveau sur cette affaire au regard du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

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