Application de la loi Badinter au passager d’une voiture blessé à la main par un explosif

Actualité Tondu Avocat Application de la loi Badinter au passager d’une voiture blessé à la main par un explosif
Publié le 15/03/21

La loi n°85-677 du 5 juillet 1985 a mis en place un régime spécial pour l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation.

Cette loi poursuit un double objectif : d’une part l’amélioration de la situation des victimes et, d’autre part l’accélération des procédures d’indemnisation.

Dans le cadre de ce régime dérogatoire au droit commun de la responsabilité civile délictuelle, le comportement de l’auteur de l’accident est indifférent.

En effet, peu importe que ce dernier ait, ou non, commis une faute à l’origine de l’accident ; la victime aura droit à l’indemnisation de ses préjudices dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans son accident.

C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un arrêt en date du 21 janvier 2021 (Cour de cassation, Civile 2ème, 21 janvier 2021, Pourvoi n°19-16232). 

  1. Les conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 :

Comme le rappelle l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 : 

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

En application de cet article, quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’une victime d’un accident de la circulation puisse être indemnisée sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, à savoir : 

– La présence d’un véhicule terrestre à moteur ; 

– L’existence d’un accident de la circulation ; 

– L’implication de ce véhicule terreste à moteur dans l’accident ; 

– L’imputabilité du dommage à l’accident ; 

  • Le véhicule terrestre à moteur : 

Le véhicule terrestre à moteur doit s’entendre comme un engin circulant sur le sol, muni d’une force motrice et apte au transport de choses ou de personnes.

Ainsi, ont été considérés par la jurisprudence comme des véhicules terrestres à moteur : les automobiles, les cars, les autobus, les camions, les motocyclettes, les scooters, les tracteurs, les engins de chantier, les remorques et les semi-remorques et même les tondeuses à gazon dès lors qu’elles sont motorisées et auto-portées.

En revanche, ne constituent pas des véhicules terrestres à moteur : les avions, les bateaux, les vélos ainsi que les trains et les tramways circulant sur une voie qui leur est propre.

  • L’accident de la circulation : 

Pour que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 trouvent à s’appliquer, il est nécessaire de caractériser l’existence d’un accident de la circulation.

Il doit s’agir d’un évènement fortuit et imprévu. En effet, il ne saurait y avoir accident de la cirulation en cas d’action volontaire de l’auteur des faits.

Par ailleurs, cet accident de la circulation peut se réaliser aussi bien sur une voie publique que sur une voie privée. 

De plus, l’accident peut intervenir aussi bien lorsque le véhicule est en cours de déplacement ou à l’arrêt, voire stationné.

La loi du 5 juillet 1985 retient en effet une définition large de l’accident de la circulation.

  • L’implication du véhicule dans l’accident : 

Pour que la loi du 5 juillet 1985 soit applicable, la victime doit en outre rapporter la preuve qu’un véhicule a été « impliqué » dans son accident.

La loi n’exige donc pas une faute du conducteur mais une simple implication d’un véhicule dans l’accident.

La jurisprudence considère, lorsque le véhicule était en mouvement au moment de l’accident et qu’il est entré en contact avec le siège du dommage, que ce véhicule est nécessairement et irréfragablement impliqué dans l’accident.

Lorsqu’il y a uniquement contact, alors que le véhicule n’était pas en mouvement, la jurisprudence retient également que ce véhicule était nécessairement et irréfragablement impliqué dans l’accident.

Enfin, l’absence de contact entre le véhicule et le siège du dommage n’exclut pas l’existence d’un accident de la circulation.

Cependant, en l’absence de contact, il appartient alors à la victime de rapporter la preuve que le véhicule terrestre à moteur (en mouvement ou à l’arrêt) a joué un « rôle quelconque » dans l’accident.

En revanche, la victime n’a pas à démontrer que ce véhicule a eu un rôle perturbateur.

C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans son arrêt en date du 21 janvier 2021 (Cour de cassation, Civile 2ème, 21 janvier 2021, Pourvoi n°19-16232).

En l’espèce, le 27 juin 2014, à PARIS, un homme a été victime d’un grave traumatisme de la main droite alors qu’il était passager d’un véhicule arrêté dans le flot de la circulation. 

Alors qu’il s’apprêtait à descendre les Champs-Elysées où se déroulaient des festivités, le passager de la voiture a laissé son bras dépasser à l’extérieur du véhicule et a été blessé à la main.

La victime a alors saisi une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction (la CIVI) aux fins de solliciter l’organisation d’une expertise médicale ayant pour objet d’évaluer ses préjudices et l’allocation d’une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice. 

Par arrêt en date du 7 février 2019, la Cour d’Appel de VERSAILLES a déclaré la victime recevable en sa demande formée devant la CIVI sur le fondement de l’article 706-3 du Code de Procédure Pénale et écarté l’application de la loi Badinter relative aux accidents de la circulation.

Pour ce faire, la Cour d’Appel de VERSAILLES rappelle que le passager de la voiture a été victime d’une infraction de blessures involontaires, commise par un tiers non identifié.

Elle ajoute qu’il aurait été blessé de la même façon s’il s’était trouvé à côté du véhicule et non à l’intérieur, de telle sorte qu’elle en déduit l’absence d’implication du véhicule dans la réalisation de l’accident.

Par conséquent, en l’absence d’implication d’un véhicule, la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation ne saurait trouver application pour l’indemnisation des préjudices subis par la victime.

A contrario, la victime était bien fondée à saisir la CIVI et à solliciter la réparation de son préjudice par le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorismes et d’autres Infractions (le FGTI).

Ce dernier s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision. 

Aux termes de son pourvoi, le FGTI fait grief à la Cour d’Appel de VERSAILLES de ne pas avoir fait application de la loi du 5 juillet 1985 alors qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation.

Or, selon le FGTI, un véhicule était bien impliqué en l’espèce dans l’accident subi par la victime dans la mesure où le passager d’une voiture a été blessé par un pétard projeté contre celle-ci roulant fenêtres ouvertes. 

Aux termes de son arrêt en date du 21 janvier 2021 (Cour de cassation, Civile 2ème, 21 janvier 2021, Pourvoi n°19-16232), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développé par le Fonds de Garantie et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de VERSAILLES.

Comme le rappelle la Cour de cassation, l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 dispose qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation.

L’article 706-3 du Code de Procédure Pénale précise quant à la lui que : 

« Toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :

1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l’article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts ;

2° Ces faits :

-soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;

-soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;

3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.

La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ».

En application des deux articles précités, la victime d’un accident de la circulation ayant subi un préjudice résultant de faits involontaires qui présentent le caractère matériel d’une infraction ne peut obtenir du FGTI la réparation de ses dommages.

Comme le souligne la Cour de cassation, la victime était occupante d’un véhicule circulant sur une voie publique lorsqu’elle a été blessée par un projectile, ce dont il résulte que ce véhicule était bien impliqué dans un accident de la circulation. 

Par conséquent, dès lors qu’un véhicule est impliqué, la victime ne peut pas obtenir l’indemnisation de ses préjudices par le FGTI devant la CIVI, quand bien même ses lésions seraient liées à un pétard jeté sur la voiture ; la victime doit solliciter l’indemnisation de ses préjudices auprès de l’assureur du conducteur du véhicule impliqué dans son accident. 

Force est donc de constater que la Cour de cassation retient une conception souple de la notion « d’implication », beaucoup plus lâche que la notion de causalité juridique.  

Cela s’explique notamment par le fait que la loi du 5 juillet 1985 a été conçue comme un régime d’indemnisation et non comme un régime de responsabilité et par le fait que l’assurance automobile est obligatoire.

  • L’imputation du dommage à l’accident : 

Enfin, pour qu’une victime puisse être indemnisée sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, il lui appartient de rapporter la preuve que son dommage est imputable à l’accident et non à une autre cause ou à un état antérieur.

  1. L’exonération de l’auteur de l’accident : 

Comme le rappelle l’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 : 

« Les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er ».

L’article 2 de la loi interdit donc au conducteur ou au gardien du véhicule terrestre à moteur, impliqué dans l’accident et auteur du dommage, de s’exonérer de sa responsabilité par la preuve d’un cas de force majeure ou par le fait d’un tiers.

En revanche, la loi du 5 juillet 1985 a prévu d’autres cas d’exonération de responsabilité pour l’auteur de l’accident, lesquels s’appliquent de façon différente suivant que la victime était ou non conductrice d’un véhicule. 

S’agissant des victimes conductrices d’un véhicule terrestre à moteur au moment de l’accident, l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 dispose que : 

« La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis ».

Ainsi, une victime qui était conductrice d’un véhicule au moment de son accident peut voir son droit à indemnisation exclu ou limité s’il apparaît qu’elle a commis une faute de conduite à l’origine de son dommage. 

S’agissant des victimes non conductrices d’un véhicule terrestre à moteur (piétons, cyclistes, passagers d’un véhicule…), les seuls cas dans lesquels le conducteur ou le gardien peut s’exonérer de sa responsabilité sont les suivants : 

– Si la victime a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi, ce qui correspond, en pratique, au suicide ou à la tentative de suicide ; 

– Si la victime a commis une faute inexcusable qui est, au surplus, la cause exclusive de son accident. Une telle faute ne peut toutefois pas être opposée à la victime qui en est l’auteur si, au moment de l’accident, elle avait moins de 16 ans ou plus de 70 ans, ou si elle était titulaire d’un titre lui reconnaissant un taux d’incapacité permanent ou d’invalidité au moins égal à 80% ; 

En effet, l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985 dispose que : 

« Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident.

Les victimes désignées à l’alinéa précédent, lorsqu’elles sont âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 p. 100, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis.

Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi ».

Dans la très grande majorité des cas, le conducteur ou le gardien sera tenu d’indemniser les préjudices de la victime non conductrice.

Cela s’explique notamment par le fait que la loi du 5 juillet 1985 a été conçue comme un régime d’indemnisation et non comme un régime de responsabilité et par le fait que l’assurance automobile est obligatoire.

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