Accident médical non fautif indemnisable par l’ONIAM : les juridictions du fond sont tenues de se prononcer sur la condition d’anormalité et le taux de risque
Le 5 mai 2000, une patiente a subi une gastroplastie avec pose d’un anneau gastrique.
Le 20 avril 2006, à la suite de différentes complications, elle en a subi une seconde, selon la technique du by-pass, au cours de laquelle est survenue une fistule au niveau de l’anastomose.
Les 1er et 9 juillet 2014, la patiente a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien digestif ayant réalisé les interventions, au titre d’un défaut d’information sur le risque de fistule, son assureur responsabilité civile professionnelle, la société AXA France IARD, et l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (l’ONIAM), au titre de la survenance d’un accident médical grave, et mis en cause la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde.
La responsabilité du chirurgien a été écartée.
Par arrêt en date du 12 avril 2022, la Cour d’Appel de BORDEAUX a également rejeté sa demande d’indemnisation à l’encontre de l’ONIAM.
Pour écarter la condition d’anormalité, indispensable à la reconnaissance d’un accident médical non fautif, la Cour d’Appel de BORDEAUX précise que les deux Experts avaient, en l’espèce, évalué à 1 ou 2% la probabilité de la survenance de complications à type de fistule lors de la réalisation d’un by-passe gastrique.
Par ailleurs, la Cour d’Appel de BORDEAUX retient que l’ONIAM avait produit aux débats divers extraits de littérature médicale dont il ressort que le taux théorique de survenance d’une fistule à la suite d’un tel acte est de l’ordre de 2 à 3%, pouvant aller jusqu’à 5,2%.
La patiente s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son pourvoi, elle rappelle que présente un caractère anormal, qui entraîne la mise en jeu de la solidarité nationale, le dommage dont le risque de survenance, évalué dans le cas du patient et dans les conditions de réalisation de l’intervention, est faible.
Or, en l’espèce, la patiente reprochait à la Cour d’Appel de BORDEAUX de n’avoir pas pris parti sur le taux de risque de survenance du dommage, compte tenu de son état et des conditions d’intervention.
Par arrêt en date du 24 avril 2024 (Cour de cassation, Civile 1ère, 24 avril 2024, Pourvoi n°23-11568), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par la patiente et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de BORDEAUX.
En effet, l’article L.1142-1 II du Code de la Santé Publique dispose que :
« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».
Selon la Cour de cassation, il résulte de ce texte que lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I de ce texte, ou celle d’un producteur de produits n’est pas engagée, l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état.
Lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.
Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entrainé le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un dommage d’une gravité comparable à celui effectivement subi par le patient.
Or, la Cour de cassation constate que, dans son arrêt en date du 12 avril 2022, la Cour d’Appel de BORDEAUX a écarté la condition d’anormalité, sans toutefois se prononcer sur le taux de risque auquel était effectivement exposée la patiente et ce, compte tenu de son état antérieur et des conditions de l’intervention.
En l’absence de fixation d’un taux de risque, la Cour de cassation n’a pas pu exercer son contrôle sur la condition d’anormalité du dommage, raison pour laquelle elle censure l’arrêt de la Cour d’Appel de BORDEAUX.
Les juridictions du fond doivent donc se prononcer effectivement sur la condition d’anormalité et le taux de risque.