Absence de diagnostic de la macrosomie fœtale et absence de réalisation d’une césarienne à l’origine d’une perte de chance pour la mère d’éviter un syndrome douloureux régional
Une patiente présentait comme antécédents familiaux un grand-père et un père diabétiques de Type II et était, de son côté, atteinte d’un surpoids (100 kg pour 1,62 m).
Le 5 mai 2012, elle a entamé, à l’âge de 25 ans, sa première grossesse, dont la date estimée de l’accouchement était prévue pour le 26 janvier 2013.
Le suivi de sa grossesse a été réalisé par un gynécologue libéral, ce même praticien devant l’accoucher dans le cadre de son activité au sein d’un Centre Hospitalier.
Au cours de la grossesse, un diabète gestationnel et une hypertension artérielle ont été diagnostiqués à la patiente, outre une prise de poids de 19 kg.
Différentes échographies réalisées le 21 septembre 2012 (soit à 22 semaines d’aménorrhée), le 6 décembre 2012 (soit à 32 semaines d’aménorrhée) et le 3 janvier 2013 (soit à 37 semaines d’aménorrhée), par le gynécologue libéral, ont permis d’objectiver un diamètre bipariétal (périmètre crânien) du fœtus très élevé, situé au-delà de la limite supérieure de la normalité et allant dans le sens d’une macrosomie fœtale (poids supérieur à 4 kg).
A aucun moment, la réalisation d’une césarienne programmée ou prophylactique n’a toutefois été évoquée par le gynécologue libéral auprès de sa patiente.
Au demeurant, comme l’ont relevé les Experts au cours de leurs opérations d’expertise :
« On ne dispose dans ce dossier que de 3 mesures de la hauteur utérine. Le 9 novembre au terme de 29 SA par [le gynécologue libéral] à son cabinet. Elle est alors relevée à 28 cm. On ne retrouve pas dans le dossier de mesure de la HU lors des consultations ultérieures libérales du 6 décembre et 3 janvier !
(…)
L’utilisation de la hauteur utérine fait partie depuis de très nombreuses années de l’examen clinique mensuel de toute femme enceinte. Il permet de suspecter un fœtus de petit poids ou un fœtus macrosome ».
De plus, au cours de sa grossesse, la patiente a été contrainte d’être hospitalisée à plusieurs reprises au sein du Centre Hospitalier où elle a alors été examinée par le gynécologue obstétricien dans le cadre de son activité de secteur public :
- Du 18 décembre 2012 au 21 décembre 2012 pour contractions utérines, hypertension artérielle et bouffées de chaleur ;
- Du 14 au 15 janvier 2013 pour hypertension artérielle ;
- Du 22 au 23 janvier 2013 pour contractions et suspicion de début de travail ;
Le 26 janvier 2013, son terme de grossesse a été dépassé.
Le samedi 2 février 2013, soit 7 jours au-delà de son terme, la patiente s’est de nouveau présentée au sein du Centre Hospitalier où elle a été reçue par le gynécologue libéral dans le cadre de son activité de secteur public qui a objectivé une prise de poids de 19 kg depuis le début de la grossesse et la présence d’œdèmes.
Le dossier médical ne fait néanmoins pas mention des résultats des échographies ni de la conduite à tenir (accouchement par voie basse ou césarienne).
Le gynécologue obstétricien a alors proposé à la patiente un déclenchement de grossesse 48 heures plus tard en raison « des maux de fin de grossesse (malaises, maux de tête) », étant précisé qu’il serait absent ce jour-là.
Le lundi 4 février 2013, à 7h30,la patiente a été admise au sein du Centre Hospitalier pour le déclenchement de son accouchement, étant rappelé que le terme de sa grossesse était dépassé depuis 9 jours (41 semaines d’aménorrhée + 2 jours).
Comme le soulignent les Experts dans leur rapport, « On ne dispose pas de la hauteur utérine ».
Du lundi 4 février 2013 à 7h30 au mardi 5 février 2013 à 7h30, aucune césarienne n’a été réalisée alors que la dilatation du col était lente.
A 6h15, le mardi 5 février 2013, les efforts expulsifs ont commencé.
A 6h50, le médecin de garde a été appelé en raison d’efforts expulsifs insuffisants.
Ce dernier n’arrivera qu’à 7h15, soit 25 minutes plus tard.
Compte tenu de la macrosomie du fœtus (4,890 kg et 52 cm) et de la présence d’une dystocie des épaules, la sage-femme présente en salle d’accouchement a alors décidé de prendre en charge le dégagement de l’enfant en pratiquant elle-même la manœuvre de COUDER.
« A 7h30, au bout de 1h15 d’efforts expulsifs, [l’enfant] naît par voie basse assisté par l’application d’une ventouse. Une épisiotomie a été réalisée. Il est constaté une dystocie des épaules, résolutive par manœuvre de Couder ».
« On ne dispose d’aucun compte-rendu, ni de l’application de ventouse, ni des manœuvres réalisées pour réduire la dystocie des épaules (on ne dispose que de la notion de manœuvre de Couder), ni du compte-rendu de l’épisiotomie et de sa réparation ».
L’enfant est donc né, le 5 février 2013, avec un étirement du plexus brachial gauche et une fracture de la clavicule gauche.
Quant à sa mère, elle souffre, depuis l’accouchement, « d’un syndrome douloureux régional complexe associé à un syndrome d’hypersensibilisation pelvienne » à l’origine :
- de douleurs majeures et permanentes (de jour comme de nuit) au niveau de la jambe droite ;
- d’une « franche boiterie de la jambe droite sans stepping avec plutôt une tendance au déhanchement » ;
- d’une impossibilité de rester debout, assise ou allongée de façon prolongée en raison des douleurs
Le 1er octobre 2014, la patiente s’est vue octroyer la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé.
Le 1er avril 2015, elle a été reconnue en invalidité de catégorie I.
Le 18 juin 2015, la médecine du travail l’a reconnue inapte à son poste.
Le 26 août 2015, la patiente a été licenciée pour inaptitude par son employeur.
Le 1er novembre 2017, elle s’est vue allouer l’AAH, qui est régulièrement renouvelée depuis.
Le 12 novembre 2019, elle a été contrainte, en raison de l’importance de ses douleurs à la jambe droite de se voir poser un neurostimulateur.
Du 17 mars au 19 mars 2020, la patiente a, de nouveau, été hospitalisée pour procéder au remplacement de son neurostimulateur qui dysfonctionnait.
C’est dans ce contexte que la patiente et son époux, agissant tant en leurs noms personnels qu’en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, ont saisi, le 19 décembre 2019, la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE en vue de voir diligenter une expertise et ont mis en cause pour ce faire, le gynécologue obstétricien et le Centre Hospitalier où a eu lieu l’accouchement.
Le 29 janvier 2020, la Commission a désigné un collège d’Experts composé :
- D’un gynécologue obstétricien ;
- D’un chirurgien pédiatrique ;
Le 18 février 2021, un autre Expert, spécialisé en anesthésie, a été désigné.
Deux réunions d’expertise contradictoires se sont tenues les 1er avril et 21 mai 2021.
Le 14 septembre 2021, une séance s’est tenue devant la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE.
Le 14 octobre 2021, la Commission a notifié aux parties son avis.
Aux termes de celui-ci, la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE a considéré que :
« Au regard des éléments ci-dessus et des discussions en séance, la Commission considère que la prise en charge de cette grossesse avec diabète gestationnel chez une patiente obèse imposait un suivi particulier avec une discussion sur une éventuelle césarienne et un déclenchement avant 39SA.
Cette absence de discussion et de réalisation d’un accouchement par césarienne a fait perdre une chance à [la patiente] de ne pas présenter un syndrome chronique pelvi périnéal du post partum, évaluée à 80%.
La responsabilité [du gynécologue obstétricien libéral] et [du Centre Hospitalier] est engagée respectivement à hauteur de 60% et 20% de cette perte de chance ».
La Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE a évalué ensuite les postes de préjudice de la patiente, en lien avec les manquements commis par le gynécologue obstétricien et le Centre Hospitalier dans le cadre de sa prise en charge médicale de la façon suivante :
- « Des pertes de gains professionnels liées à un arrêt temporaire des activités professionnelles total du 9 juillet 2013 au 31 mars 2015 (licenciement le 26 août 2015), dont il conviendra de justifier ;
- Des soins générant des dépenses de santé actuelles (DSA), dont il conviendra de justifier ;
- Des frais divers : frais relatifs à la nécessité de recours à une aide humaine (non spécialisée à raison d’une heure par jour jusqu’à l’entrée à l’école de son premier enfant puis deux heures par semaine) ou matérielle temporaire, dont il conviendra de justifier ;
- Des gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire total sur la période du 18 au 19 août 2013 et du 8 au 10 octobre 2019 et partiel classe II en dehors des périodes d’hospitalisations et jusqu’à la consolidation ;
- Des souffrances endurées (SE) évaluées à 4/7 ;
- Des pertes de gains professionnels futurs (PGPF) liées à la répercussion des séquelles sur l’activité professionnelle : [la patiente] étant dorénavant définitivement inapte à l’exercice de son activité professionnelle antérieure (étant précisé que [la patiente] est apte à exercer une activité adaptée à son handicap) dont il conviendra de justifier ;
- Une incidence professionnelle constituée par une perte de retraite, une perte de chance de retrouver un emploi, dont il conviendra de justifier ;
- Le besoin d’une assistance par une tierce personne (ATP) non spécialisée à une fréquence de 6 heures par semaine, cinquante-deux semaines par an, auxquelles s’ajoutent 5 semaines de congés payés de la tierce personne ;
- Des soins de santé futurs en rapport avec les soins médicaux à justifier ;
- Une atteinte à l’intégrité physique ou psychique (AIPP) de 10% constitutive d’un déficit fonctionnel permanent ;
- Un préjudice esthétique permanent (PEP) évalué à 2/7 ;
- Un préjudice d’agrément ;
Il conviendra également de dédommager [la patiente] le cas échéant, des frais d’assistance par un avocat ou un médecin conseil exposés dans le cadre de la présente procédure (sur justificatifs) ».
En conséquence de quoi, la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE a émis l’avis suivant :
« Article 1 : la réparation des préjudices incombe à l’assureur du [gynécologue obstétricien libéral] à hauteur de 60% et à l’assureur [du Centre Hospitalier] à hauteur de 20% d’une perte de chance évaluée globalement à 80%.
Article 2 : l’état de santé de [la patiente] est consolidé à la date du 18 avril 2020 ;
Article 3 : les préjudices qu’il convient d’indemniser sont ceux définis précédemment ;
Article 4 : il appartient à l’assureur [du Centre Hospitalier] et à l’assureur du [gynécologue obstétricien libéral] d’adresser une offre d’indemnisation à [la patiente] en sa qualité de victime, les préjudices tels que définis ci-dessus dans le délai de quatre mois suivant la réception du présent avis ».
En revanche, s’agissant de l’enfant, ses préjudices n’ont pas pu être évalués de façon définitive par les Experts dans la mesure où il n’était âgé que de 8 ans au moment de l’expertise et où son état de santé n’était pas consolidé selon eux.
La Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE a, par ailleurs, estimé que :
« il apparaît à la Commission et ce même si l’état de [l’enfant] n’est à ce jour pas consolidé que le dommage subi par ce dernier n’atteindra manifestement pas l’un quelconque des seuils de gravité fixés à l’article D.1142-1 du Code de la Santé Publique ».
En conséquence, en l’absence de respect des seuils gravité des préjudices de l’enfant, la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE s’est déclarée incompétente pour les indemniser.
Par lettres officielles en date des 22 novembre 2021 et 7 février 2022, le Conseil des demandeurs s’est notamment rapproché du Conseil du gynécologue obstétricien libéral et de son assureur responsabilité civile professionnelle afin de tenter de parvenir à un accord amiable.
Par courrier recommandé en date du 15 février 2022, l’assureur a adressé une offre d’indemnisation à la patiente.
Aux termes de celle-ci, l’assureur ne contestait pas le principe de la responsabilité de son assuré.
En revanche, la compagnie d’assurance tentait de minimiser les préjudices de la patiente en ne suivant pas les termes de l’avis rendu par la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE en date du 14 septembre 2021, s’agissant notamment de la part de responsabilité imputable au gynécologue obstétricien.
Par ailleurs, les offres financières faites par l’assureur apparaissaient, de surcroit, largement sous-évaluées.
La patiente n’a donc pas été en mesure d’accepter cette offre d’indemnisation.
C’est pourquoi, en l’absence d’accord amiable, la patiente et son époux, agissant tant en leurs noms personnels qu’en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, se sont retrouvés contraints de saisir le Tribunal Judiciaire de BOURGES aux fins, d’une part de voir engager la responsabilité du gynécologue obstétricien à la suite des manquements commis par ce dernier dans le cadre de la prise en charge médicale libérale de sa patiente et, d’autre part de solliciter la condamnation solidaire de ce dernier et de son assureur responsabilité civile professionnelle à réparer les préjudices subis par la victime directe et les victimes indirectes à hauteur de 60%.
Parallèlement à cette action devant le Tribunal Judiciaire de BOURGES, la patiente et son époux ont également saisi le Tribunal Administratif d’ORLEANS aux fins d’une part de voir engager la responsabilité du Centre Hospitalier à la suite des manquements commis par ce dernier dans le cadre de la prise en charge médicale de sa patiente et, d’autre part de solliciter la condamnation de l’établissement public de santé à réparer les préjudices subis par la famille à hauteur de 20%.
Par jugement en date du 25 mai 2023, le Tribunal Judiciaire de BOURGES a déclaré « le [gynécologue obstétricien] responsable du préjudice subi ».
En revanche, le Tribunal Judiciaire de BOURGES a restreint la condamnation du gynécologue obstétricien et de son assureur responsabilité civile.
En effet, alors que la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux de la Région CENTRE avait estimé que « la réparation des préjudices incombe à l’assureur du [gynécologue obstétricien] à hauteur de 60% et à l’assureur [du Centre Hospitalier] à hauteur de 20% d’une perte de chance évaluée globalement à 80% », le Tribunal Judiciaire de BOURGES, de son côté, a condamné « solidairement [le gynécologue obstétricien] et son assureur à prendre en charge l’entier préjudice des victimes à hauteur de 50% de la perte de chance de [la patiente] d’accoucher par césarienne évaluée à 80% ».
Par ailleurs, les indemnités allouées par le Tribunal Judiciaire de BOURGES apparaissaient sous-évaluées au regard de la situation des demandeurs et de la jurisprudence applicable en la matière, raison pour laquelle la patiente et son mari, agissant en leurs noms personnels et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur ont interjeté appel de cette décision.
Or, par arrêt en date du 23 mai 2024, la Cour d’Appel de BOURGES a fait droit à l’argumentation développée par les victimes et censuré le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de BOURGES.
Comme le rappelle la Cour d’Appel de BOURGES :
« Il résulte des pièces du dossier que Madame F. était une patiente à risque de complications materno-fœtales en raison de son obésité (100 kg pour 1,62 m, outre une prise de poids de 19 kg pendant la grossesse), ce d’autant plus qu’un diabète gestationnel et une hypertension artérielle ont été diagnostiqués, en cours de grossesse, ce qui a justifié une surveillance conjointe obstétrico-diabétologique.
Le rapport énonce qu’en dépit de deux mesures anormales de la hauteur utérine, le docteur D. n’a pas demandé ou réalisé une dernière échographie alors même que Madame F. présentait les facteurs de risque précités de macrosomie fœtale à terme, et indique : « les personnels du centre hospitalier de … ne se sont pas donnés tous les moyens, si imprécis soient-ils (une mesure de la hauteur utérine et une évaluation du poids fœtale avant de programmer l’accouchement), pour pouvoir discuter avec Madame F. de la balance bénéfice risque d’un accouchement par voie basse versus une césarienne pour éviter la survenue d’une dystocie des épaules » et : « Madame F. n’a pas été informée des risques de l’accouchement de l’enfant macrosome, des risques de l’accouchement de la femme obèse (dystocie du travail, dystocie des épaules si macrosomie, césarienne en urgence, difficultés respiratoires…), pas plus qu’une information ne lui a été donnée sur le risque de la césarienne en général et plus encore de la césarienne de la femme obèse (risques infectieux, thromboemboliques).
D’autre part, il résulte du document intitulé « recommandations de bonne pratique, indication de la césarienne programmée à terme, méthode-recommandations pour la pratique clinique » établi en janvier 2012 par la Haute Autorité de Santé que la réalisation d’une césarienne est préconisée, dans l’hypothèse d’une macrosomie liée au diabète, « en cas d’estimation du poids fœtal supérieur ou égal à 4.500 g » ou « en raison de l’incertitude de l’estimation du poids fœtal, pour une suspicion de macrosomie comprise entre 4.250 et 4.500 g », ladite recommandation indiquant, à cet égard, que « la césarienne programmée est à discuter au cas par cas en tenant compte des autres critères liés à la pathologie et au contexte obstétrical ».
En conséquence, en s’abstenant de mettre tous les moyens en œuvre pour déceler une macrosomie fœtale chez Madame F., alors même qu’il n’ignorait pas les facteurs de risque que celle-ci présentait, et en ne l’informant pas, dans le cadre du suivi général de sa grossesse, de la possibilité d’avoir recours à une césarienne, avec les avantages et les risques de cette méthode par rapport à un accouchement par voie basse, le Docteur D. n’a pas prodigué des soins conformes aux recommandations de bonnes pratiques et aux données acquises de la science, de sorte que sa responsabilité se trouve engagée sur le fondement des dispositions de l’article L.1142-1 du Code de la Santé Publique précité, ce qui n’est d’ailleurs plus contesté par le praticien et son assureur en cause d’appel alors que cela avait été le cas en première instance ».
La Cour d’Appel de BOURGES ajoute que :
« Il résulte des éléments médicaux du dossier que le Docteur D., gynécologue-obstétricien, a assuré l’intégralité du suivi de la grossesse de Madame F. et qu’il n’ignorait pas les facteurs de risque que celle-ci présentait – en raison notamment de son obésité, du diabète diagnostiqué en cours de grossesse, de son hypertension artérielle à l’origine de plusieurs hospitalisations ainsi que de son apnée du sommeil – justifiant une surveillance particulière durant la grossesse.
Pourtant, en dépit des échographies réalisées les 21 septembre et 6 décembre 2012, puis le 3 janvier 2013 (soit à 37 semaines d’aménorrhée), qui ont permis de mettre en évidence un diamètre bipariétal très élevé du fœtus, allant dans le sens d’une probable macrosomie fœtale, et d’une mesure anormale de la hauteur utérine à 40 cm le 30 janvier 2013, ce praticien s’est abstenu de solliciter une nouvelle échographie et, contrairement aux préconisations précitées de la Haute Autorité de Santé, d’envisager le recours à une césarienne programmée ou prophylactique.
En particulier, le rapport d’expertise retient qu’il n’a été procédé, en tout et pour tout, qu’à trois mesures de la hauteur utérine, dont une seule fois par le Docteur D. le 29 novembre 2012 à 29 semaines d’aménorrhée – la hauteur utérine relevée étant à cette date à 28 cm – sans que ce praticien ne procède à une nouvelle mesure lors de ses consultations libérales ultérieures en date des 6 décembre 2012 et 3 janvier 2013. Ce n’est que le 30 janvier suivant, au terme de 40,3 semaines d’aménorrhée, et alors que selon ce rapport « l’utilisation de la hauteur utérine fait partie depuis de très nombreuses années de l’examen clinique mensuel de toute femme enceinte » et qu’il « permet de suspecter un fœtus de petit poids ou un fœtus macrosome », qu’une sage-femme a relevé une hauteur utérine de 40 cm, cette mesure étant « doublement soulignée de façon manuscrite ».
Au vu de l’ampleur et de la persistance des fautes pouvant être ainsi reprochées au Docteur D. dans les soins qu’il a apportés à Madame F. durant sa grossesse, il y aura lieu de le condamner solidairement avec son assureur à indemniser les préjudices subis par les Consorts F. à hauteur de 60% du montant total de ces derniers, étant remarqué qu’il résulte du mémoire déposé par le Centre Hospitalier de … devant le Tribunal Administratif d’ORLEANS que celui-ci ne conteste pas le principe de sa responsabilité à hauteur de 20% desdits préjudices, de sorte que l’évaluation réalisée par les juridictions judiciaires et administratives permettra d’indemniser les appelants de la perte de chance retenue par la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux selon la proportion, non contestée, de 80%.
Dans ces conditions, le jugement dont appel devra être réformé en ce qu’il a condamné solidairement le Docteur D. et son assureur à prendre en charge le préjudice des appelants à la seule hauteur de 50% de la perte de chance d’accoucher par césarienne ».
Le gynécologue obstétricien libéral et son assureur responsabilité civile professionnelle sont donc condamnés solidairement à indemniser les préjudices de la patiente et de ses proches en raison de l’absence de diagnostic de la macrosomie fœtale et de l’absence de réalisation d’une césarienne à l’origine d’une perte de chance d’éviter le syndrome douloureux régional complexe, associé à un syndrome d’hypersensibilisation pelvienne.