Réparation intégrale des frais d’adaptation du logement en cas d’accident médical fautif par les juridictions administratives
A la suite d’un accident médical fautif, la victime peut être contrainte d’effectuer différentes dépenses pour aménager son logement (ex : aménagement de la salle de bain, de la cuisine et des toilettes, modification des installations électriques, mise en place d’une rampe d’accès pour fauteuils roulants, installation d’un ascenseur, etc.) afin de l’adapter à son handicap et de pouvoir l’utiliser en toute sécurité compte tenu de sa perte d’autonomie et/ou d’indépendance.
Afin d’harmoniser les règles d’indemnisation des préjudices subis par les victimes, une nomenclature des postes de préjudice a été adoptée au cours de l’année 2006, appelée nomenclature Dintilhac.
Cette nomenclature repose sur une triple distinction des postes de préjudice :
– La distinction entre les préjudices subis par la victime directe et les préjudices subis par les victimes indirectes, aussi appelées victimes par ricochet ;
– La distinction entre les préjudices patrimoniaux et ceux de nature extrapatrimoniale ;
– La distinction entre les préjudices temporaires et ceux de nature permanente ou définitive ;
Par ailleurs, la nomenclature Dintilhac énumère une liste, non limitative, de postes de préjudices ouvrant droit à indemnisation au profit de la victime dont les « Frais de Logement Adapté ».
La nomenclature Dintilhac définit ce poste de préjudice de la façon suivante :
« Ces dépenses concernent les frais que doit débourser la victime directe à la suite du dommage pour adapter son logement à son handicap et bénéficier ainsi d’un habitat en adéquation avec ce handicap.
Ce poste d’indemnisation concerne le remboursement des frais que doit exposer la victime à la suite de sa consolidation, dans la mesure où les frais d’adaptation du logement exposés, à titre temporaire, sont déjà susceptibles d’être indemnisés au titre du poste de préjudice « Frais divers ».
Cette indemnisation intervient sur la base de factures, de devis ou même des conclusions du rapport de l’expert sur la consistance et le montant des travaux nécessaires à la victime pour vivre dans son logement.
Ces frais doivent être engagés pendant la maladie traumatique afin de permettre à la victime handicapée de pouvoir immédiatement retourner vivre à son domicile dès sa consolidation acquise.
Ce poste de préjudice inclut non seulement l’aménagement du domicile préexistant, mais éventuellement celui découlant de l’acquisition d’un domicile mieux adapté prenant en compte le surcoût financier engendré par cette acquisition.
En outre, il est possible d’inclure au titre de l’indemnisation de ce poste de préjudice les frais de déménagement et d’emménagement, ainsi que ceux liés à un surcoût de loyer pour un logement plus grand découlant des difficultés de mobilité de la victime devenue handicapée.
Enfin, ce poste intègre également les frais de structure nécessaire pour que la victime handicapée puisse disposer d’un autre lieu de vie extérieur à son logement habituel de type foyer ou maison médicalisée »
Par un arrêt en date du 27 mai 2021 (Conseil d’Etat, 5ème – 6ème Chambres Réunies, 27 mai 2021, N°433863), le Conseil d’Etat est venu rappeler les règles organisant l’indemnisation des frais occasionnés par l’adaptation du logement de personnes devenues lourdement handicapées à la suite d’accidents médicaux fautifs dont les auteurs ont été déclarés responsables.
En l’espèce, à la suite des fautes commises par le Centre Hospitalier de LIBOURNE lors d’un accouchement, un enfant est né atteint d’une infirmité motrice et cérébrale sévère justifiant une adaptation importante de son lieu de vie.
Sa mère étant dans l’impossibilité, d’une part d’adapter l’appartement qu’elle louait et, d’autre part de louer un logement aménagé au handicap de sa fille, elle a souhaité faire l’acquisition d’un bien immobilier parfaitement adapté à celle-ci.
Elle a donc sollicité l’indemnisation, non seulement du surcoût lié à l’adaptation de ce logement, mais également le remboursement du prix d’acquisition de ce bien immobilier.
Par arrêt en date du 25 juin 2019, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX a condamné le Centre Hospitalier de LIBOURNE à verser à la mère et aux grands-parents diverses indemnités à raison des fautes commises dans la prise en charge médicale lors de la naissance.
Cependant, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX a refusé d’indemniser les frais liés à la construction d’un nouveau logement adapté au handicap de la victime.
Sa mère et ses grands-parents se sont donc pourvus en cassation à l’encontre cette décision.
Or, dans son arrêt en date du 27 mai 2021 (Conseil d’Etat, 5ème-6ème Chambres réunies, 27 mai 2021, N°433863), le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX relative aux frais de logement adapté.
Comme le rappelle le Conseil d’Etat :
« Pour rejeter les conclusions de Mme F… tendant à l’indemnisation de divers frais liés à la construction d’un nouveau logement, la cour administrative d’appel, après avoir relevé que l’intéressée soutenait se trouver dans l’impossibilité d’aménager le logement dont elle était locataire ou d’en louer un autre qui soit adapté aux besoins de sa fille, a jugé qu’en tout état de cause, en cas d’achat ou de construction d’un logement adapté, seuls les frais exposés pour aménager un tel logement conformément aux besoins de l’enfant étaient susceptibles d’être indemnisés ».
Le Conseil d’Etat ajoute que :
« En statuant ainsi, alors que, outre les dépenses d’aménagement du logement rendues nécessaires par le handicap de l’enfant, d’autres dépenses nées d’une décision d’achat ou de construction d’un logement sont, dès lors qu’une telle décision est imposée par le handicap de l’enfant et dans la mesure où ces dépenses visent à répondre à ses besoins, susceptibles d’être regardées comme étant en lien direct avec la faute de l’établissement de santé et comme devant, par suite, faire l’objet d’une indemnisation, la cour a commis une erreur de droit ».
Dès lors :
« Mme F… et autres sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent en tant que celui-ci statue sur l’indemnisation des frais exposés pour la construction d’un logement adapté au handicap de sa fille ».
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient ici rappeler que, lorsque la victime n’était pas propriétaire de son logement au moment de l’accident et que la situation de handicap de celle-ci justifie un aménagement important de son domicile, l’indemnisation des frais d’adaptation ne doit pas se limiter aux seuls frais d’aménagement ou au seul surcoût engendré par l’adaptation de ce logement.
L’indemnisation des frais de logement adapté doit alors correspondre à la totalité du prix d’acquisition de l’habitation dès lors que cet achat est rendu nécessaire par l’accident.
Cette décision s’explique notamment par le fait que les victimes peuvent voir leur bail d’habitation résilié à tout moment par leur bailleur alors même qu’elles auraient effectué de gros investissements financiers pour l’adapter à leur handicap ; les victimes seraient alors contraintes d’effectuer de nouvelles dépenses pour aménager leur nouveau logement.
Par ailleurs, leurs bailleurs pourraient être réticents à l’idée de voir effectuer de gros travaux dans le bien loué lorsqu’ils touchent notamment à la structure du bâtiment.
Enfin, lorsque le bien loué se trouve dans une résidence, il est souvent très compliqué juridiquement et souvent plus couteux financièrement d’adapter l’ensemble des parties communes et du bien loué au handicap de la victime plutôt que de financer l’acquisition d’un logement neuf déjà aménagé.
Afin de garantir au mieux leur droit à indemnisation et la réparation intégrale de leurs préjudices, il appartient aux victimes de rapporter la preuve de la réalité et du montant des dépenses qu’elles ont effectuées pour acheter et adapter leur logement à la suite de leur accident médical fautif.
Pour ce faire, les victimes doivent conserver et être à même de communiquer l’ensemble des justificatifs en leur possession relatifs au coût d’acquisition du bien immobilier et à la teneur et l’étendue des travaux effectués pour pallier leur perte d’autonomie et d’indépendance.
Un bilan situationnel ainsi qu’un rapport détaillé d’un ergothérapeute, formé à la réparation du dommage corporel, peuvent également s’avérer nécessaire pour, d’une part préconiser les adaptations du logement ainsi que les aides techniques nécessaires et, d’autre part justifier le lien entre les travaux réalisés par la victime et le handicap résultant de l’accident médical fautif.
Au surplus, l’appui technique d’un architecte peut aussi s’avérer opportun pour justifier le coût d’acquisition du logement, dresser les plans, prévoir les adaptations du logement, fournir des devis…
Ce n’est qu’à ces conditions qu’il sera alors possible de faire valoir au mieux le droit à réparation intégrale de la victime.