Accident au cours d’un lâcher de taureaux et droit à indemnisation de la victime – Le retour
Le 28 juillet 2012, un spectateur a été grièvement blessé alors qu’il assistait à une manifestation taurine organisée par une association sur un terrain privé, situé sur la commune de NAVACELLES.
Lors de cette manifestation, deux taureaux entourés d’une dizaine de cavaliers avaient été lâchés.
Percutée par un cheval alors qu’elle se trouvait à proximité de la buvette, hors du circuit emprunté par les animaux, la victime a été projetée à une dizaine de mètres.
Immédiatement prise en charge par les pompiers, la victime a été transportée par hélicoptère au sein de l’Unité de Réanimation du Centre Hospitalier Universitaire de MONTPELLIER où il lui a notamment été diagnostiqué un traumatisme crânien.
Le certificat médical initial faisait mention d’un coma post-traumatique, d’une otorragie gauche, de lésions cranio-encéphaliques et de lésions thoraciques ayant justifié une hospitalisation de plus d’un mois.
Estimant que leur responsabilité était engagée, la victime a assigné le cavalier et l’association organisatrice de la manifestation taurine en réparation de ses préjudices corporels devant le Tribunal de Grande Instance d’ALES.
Ultérieurement, la victime a également assigné devant cette même juridiction le manadier afin de voir engager sa responsabilité et obtenir sa condamnation solidaire avec le cavalier et l’association sportive.
Par jugement en date du 21 avril 2016, le Tribunal de Grande Instance d’ALES a retenu la responsabilité de l’association organisatrice au titre d’un manquement à son obligation de sécurité ainsi que celle du manadier en qualité de gardien du cheval.
Par ce même jugement, le Tribunal de Grande Instance d’ALES a consacré le droit à réparation intégrale de la victime, ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise médicale avant dire droit ayant pour objet d’évaluer les préjudices de cette dernière et condamné in solidum l’association, son assureur et le manadier à verser une provision d’un montant de 6.000 euros à valoir sur l’indemnisation définitive.
Par déclaration en date du 6 juin 2016, le manadier a interjeté appel de cette décision.
En cause d’appel, le manadier a contesté toute responsabilité de sa part sur le fondement de la garde des animaux.
Comme il le rappelle, le cheval à l’origine de l’accident était monté par un cavalier, ce cheval était la propriété du cavalier et ce dernier n’était pas son préposé.
De plus, le manadier n’avait exercé aucun pouvoir de direction et de contrôle sur l’animal.
Par conséquent, selon le manadier, seul le cavalier avait la garde du cheval au moment de l’accident et devait être déclaré responsable.
L’association organisatrice tentait de soutenir, quant à elle, qu’elle n’avait pas manqué à son obligation de sécurité.
Selon elle, seul le cheval était exclusivement à l’origine du dommage subi par la victime.
Au surplus, la victime aurait commis une faute dès lors qu’à la fin de la course taurine elle se trouvait en dehors du périmètre de sécurité.
Toutefois, par arrêt en date du 17 janvier 2019 (Cour d’Appel de NIMES, Chambre Civile 01, 17 janvier 2019, n°16/02452), la Cour d’Appel de NIMES a rejeté l’argumentation du manadier et de l’association organisatrice et confirmé le jugement rendu en première instance.
Comme le rappelle la Cour d’Appel de NIMES, « eu égard à la dangerosité potentielle d’une manifestation taurine telle qu’une abrivado, il incombe à l’organisateur d’assurer la sécurité des spectateurs et passants ».
« Aux termes de l’arrêté municipal pris par le maire de Navacelle le 19 juillet 2012, l’association avait été autorisée à organiser la manifestation taurine le 28 juillet 2012 et avait en charge d’en assurer la sécurité intégrale en vertu de l’article 5, ce qui impliquait une installation de barrières de sécurité le long du parcours et une signalisation appropriée interdisant tout stationnement…, un service d’ordre et la surveillance du parcours et des carrefours en liaison avec la gendarmerie ».
Or, selon la Cour d’Appel de NIMES, la présence de barrières de sécurité à proximité de la buvette était insuffisante pour assurer la sécurité des spectateurs alors qu’il résulte des procès-verbaux d’enquête et photographies jointes au constat d’huissier établi le 4 avril 2014 à partir du visionnage d’une vidéo mise en ligne sur internet que le parcours n’était pas sécurisé par des barrières.
Par ailleurs, la seule pose alléguée, mais non établie, de rubalise n’était pas de nature à assurer la sécurité des passants.
De plus, le seul espace sécurisé par la pose de barrières autour de la buvette était très restreint et ne permettait pas d’accueillir l’ensemble des spectateurs.
Enfin, le Directeur de l’association organisatrice avait lui-même admis lors de son audition que les personnes présentes n’avaient à aucun moment été invitées à se placer dans l’espace protégé par les barrières à la buvette.
Par conséquent, l’association organisatrice de la course taurine a bien commis, selon la Cour d’Appel de NIMES, un manquement à son obligation de sécurité et ne saurait invoquer une quelconque faute de la victime.
Dès lors, sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1383 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, qui dispose que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement pas son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».
Quant au manadier, sa responsabilité est également retenue par la Cour d’Appel de NIMES.
Comme le rappelle la juridiction, « Il est admis que le manadier, propriétaire des animaux, conserve leur garde directement ou par l’intermédiaire de ses préposés, et qu’il supporte la responsabilité des dommages occasionnés par les animaux intervenant dans la manifestation taurine, que ces dommages aient été occasionnés sur le parcours de l’abrivado ou à proximité ».
Selon la Cour d’Appel de NIMES, il n’est pas contestable que le manadier n’était pas propriétaire du cheval monté par le cavalier et que ce dernier n’était pas son préposé.
Aussi, le cavalier, propriétaire du cheval, était présumé en être le gardien en application des dispositions de l’article 1385 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016.
Toutefois, il convient de rappeler qu’il revient au manadier d’établir le parcours de l’abrivado, de sélectionner les chevaux et les cavaliers et de leur assigner la place qui convient dans l’escorte.
Bien qu’il n’était pas le salarié du manadier, le cavalier s’intégrait avec son cheval dans la manifestation taurine aux côtés de sept autres cavaliers et il dirigeait les taureaux en tête.
Le cavalier agissait donc, selon la Cour d’Appel de NIMES, en qualité de gardien sous les ordres et directives du manadier, lequel bénéficiait de ce fait d’un transfert de garde de l’animal impliquant une responsabilité de plein droit sur le fondement de l’article 1385 du Code civil pour les dommages occasionnés par le cheval qui s’est emballé, a échappé à la manade et renversé la victime.
Par conséquent, la responsabilité du manadier est également engagée en qualité de gardien du cheval à l’origine de l’accident, selon la Cour d’Appel de NIMES.
Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, tant l’association organisatrice de la course taurine que le manadier ont été déclarés entièrement et solidairement responsables du dommage subi par la victime et ont été tenus in solidum de réparer l’intégralité des préjudices subis par cette dernière.
Toutefois, le manadier et l’association organisatrice de la course taurine se sont alors pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
Par arrêt en date du 16 juillet 2020 (Cour de cassation, Civile 2ème, 16 juillet 2020, Pourvoi n°19-14678), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation de ces derniers et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de NIMES.
Comme le rappelle la Cour de cassation au visa de l’article 1385, devenu 1243 du Code civil, « La responsabilité édictée par le texte à l’encontre du propriétaire d’un animal ou de celui qui s’en sert est fondée sur l’obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent ».
Or, le seul pouvoir d’instruction du manadier, qui n’était pas l’employeur du cavalier, ne permettait pas de caractériser un transfert de garde.
En effet, le cavalier était propriétaire du cheval impliqué dans l’accident et avait conservé les pouvoirs d’usage et de contrôle de l’animal.
Dès lors, seul le cavalier avait la garde du cheval, laquelle n’avait pas été transférée au manadier.
Par conséquent, seul le cavalier devait être tenu responsable au sens des dispositions de l’article 1385, devenu 1243 du Code civil et devait être condamner à réparer les préjudices subis par la victime.
La Cour de cassation censure donc l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de NIMES, le 17 janvier 2019 et renvoie l’affaire devant la Cour d’Appel de MONTPELLIER.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.