Bagarre au bloc opératoire
Le 19 octobre 2016, un chirurgien et un médecin anesthésiste réanimateur ont procédé à une intervention de chirurgie esthétique sur une patiente d’une clinique située à PAPEETE.
A l’issue de l’opération, une altercation relative au protocole post-opératoire a eu lieu entre ces deux praticiens, qui s’est poursuivie dans une seconde salle d’opération.
Au cours de l’enquête, le médecin anesthésiste a expliqué qu’à la fin de l’intervention chirurgicale, le chirurgien lui avait demandé d’injecter à la patiente deux médicaments qui n’entraient pas dans le protocole du comité de lutte contre les maladies nosocomiales, ce qu’il avait donc refusé de faire.
Tout en l’insultant, le chirurgien avait alors exigé le code du coffre à toxiques accessible aux seuls médecins anesthésistes et, devant un nouveau refus, lui avait porté un coup de poing au visage, puis l’avait étranglé avec son stéthoscope avant de quitter la salle, non sans avoir au préalable, donné des coups de pied dans le matériel médical.
Le médecin anesthésiste réanimateur a ajouté que, quelques minutes plus tard, alors qu’il se trouvait dans une autre salle d’opération pour assister un autre praticien, le chirurgien l’avait rejoint et l’avait menacé.
Le médecin anesthésiste déclarait s’être retourné et, pour parer le coup que son adversaire allait lui porter, lui avoir donné un coup de tête.
Il contestait, en revanche, toute autre violence et expliquait que les blessures dont souffrait son confrère avaient été provoquées par les violences dont il était lui-même l’auteur.
De son côté, le chirurgien a expliqué avoir exigé du médecin anesthésiste réanimateur, à l’issue d’une intervention chirurgicale, que celui-ci fasse son travail et, qu’en réponse, son confrère l’avait poussé. Il a estimé s’être défendu.
Il avait ensuite décidé d’effectuer le protocole lui-même et l’infirmière lui avait délivré les médicaments qu’il sollicitait.
Il était ensuite revenu en salle d’opération où se trouvait le médecin anesthésiste réanimateur, lequel lui avait « tordu le doigt, écrasé le pied et porté un coup de tête » qui lui avait fait perdre connaissance.
Par ailleurs, toujours dans le cadre de l’enquête de flagrance, un médecin du Service des Urgences du Centre Hospitalier de TAAONE a été requis afin d’effectuer des prélèvements sanguins pour dosage de l’alcoolémie et dépistage de stupéfiants sur la personne du chirurgien, qui avait été placé en garde à vue.
A l’issue de l’enquête, les deux praticiens ont été poursuivis pour des faits de violences réciproques.
Par jugement en date du 29 août 2017, le Tribunal a déclaré le chirurgien coupable des faits de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à 8 jours (3 jours) sur un professionnel de santé et de refus de se soumettre aux relevés signalétiques.
L’appel de ce jugement a été interjeté puis un pourvoi en cassation a été régularisé.
Aux termes de son pourvoi, le chirurgien conteste le rejet de l’exception de nullité qu’il a soulevée relative aux prises de sang effectuées sous contrainte aux fins de déterminer la présence d’alcool et de produits stupéfiants.
Plus précisément, il expose qu’il résulte du principe d’inviolabilité du corps humain qu’il ne peut être prélevé du sang sur une personne vivante sans son consentement que dans les cas limitativement énumérés par la loi.
Par ailleurs, il ajoute qu’il résulte de l’article 8 paragraphe 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme que toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit reposer sur une base suffisamment accessible et prévisible.
Or, selon le chirurgien, il n’existait aucun texte autorisant les autorités publiques à contraindre une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre le délit de violences volontaires à se soumettre à une prise de sang pour vérifier la présence de produits stupéfiants dans son organisme.
En conséquence de quoi, la réquisition aux fins de prélèvements sanguins était irrégulière et devait être annulée.
Toutefois, par arrêt en date du 31 mars 2020 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 mars 2020, Pourvoi n°19-85756), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté l’argumentation du chirurgien et confirmé l’arrêt d’appel.
Comme le rappelle la Cour de cassation, les fonctionnaires de police sont intervenus à la demande de la directrice de la clinique, à la suite d’une rixe entre deux médecins au visa des articles 53 et 73 du Code de procédure pénale.
L’article 53 dudit code dispose que :
« Est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit.
A la suite de la constatation d’un crime ou d’un délit flagrant, l’enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours.
Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation, dans les mêmes conditions, de l’enquête pour une durée maximale de huit jours ».
L’article 73 du Code de procédure pénal précise quant à lui que :
« Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche.
Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire ».
Les juges énoncent que bien que les signes caractéristiques d’ivresse aient été négatifs, le chirurgien se trouvait en possession de deux tubes de morphine qu’il a remis aux enquêteurs et que les fonctionnaires notaient, par ailleurs, que l’individu, excité, titubant, avait l’air hagard, les mains tremblantes et tenait des propos incohérents.
Ils ajoutent qu’a été établie une réquisition manuscrite, « sur instructions de M. le Procureur de la République », aux fins de prélèvement sanguins pour dosage de l’alcoolémie et de dépistage de stupéfiants, la seule détention de produits stupéfiants devant entraîner le contrôle de l’hypothèse d’une consommation desdits produits.
Ils en concluent que les vérifications biologiques ordonnées et l’analyse effectuée après instructions étaient parfaitement fondées dans le cadre des dispositions de l’article 60 du Code de Procédure Pénale, qui n’imposent pas le consentement de l’intéressé et alors que l’infraction flagrante de violences pouvait comporter des circonstances aggravantes relatives à un état alcoolique ou à la consommation de stupéfiants.
En effet, l’article 60 du Code de procédure pénale prévoit que :
« S’il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, l’agent de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées.
Sauf si elles sont inscrites sur une des listes prévues à l’article 157, les personnes ainsi appelées prêtent, par écrit, serment d’apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience.
Les personnes désignées pour procéder aux examens techniques ou scientifiques peuvent procéder à l’ouverture des scellés. Elles en dressent inventaire et en font mention dans un rapport établi conformément aux dispositions des articles 163 et 166. Ces personnes peuvent également, en le mentionnant dans leur rapport, replacer sous scellés les objets examinés et placer sous scellés les objets résultant de leur examen ; en particulier, les médecins requis pour pratiquer une autopsie ou un examen médical peuvent placer sous scellés les prélèvements effectués. Elles peuvent communiquer oralement leurs conclusions aux enquêteurs en cas d’urgence.
Sur instructions du procureur de la République, l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, l’agent de police judiciaire donne connaissance des résultats des examens techniques et scientifiques aux personnes à l’encontre desquelles il existe des indices faisant présumer qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, ainsi qu’aux victimes ».
Selon la Cour de cassation, en rejetant l’exception de nullité soulevé par le chirurgien, la Cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen, l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’interdisant pas en tant que tel le recours à une intervention médicale sans le consentement d’un suspect en vue de l’obtention de la preuve de sa participation à une infraction dans toutes ces circonstances.
Par conséquent, la condamnation du chirurgien pour violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à 8 jours est confirmée.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.