Manquement dans la prise en charge par le SAMU et préjudice moral spécifique

Actualité Tondu Avocat Manquement dans la prise en charge par le SAMU et préjudice moral spécifique
Publié le 20/08/20

Le 4 octobre 2010, une infirmière née en 1969 a ressenti, dans la soirée, des symptômes qu’elle a immédiatement attribués à un accident vasculaire cérébrale et a appelé le SAMU à 22h20.

Le médecin régulateur, croyant à un épisode de dépression avec prise d’alcool, a refusé de faire intervenir les secours.

L’infirmière, qui était de plus en plus paralysée du côté droit, a dû se rendre en rampant chez ses voisins de palier et heurter leur porte de la tête pour les alerter.

Le 5 octobre à 00h27, la victime a finalement été admise au Centre Hospitalier Universitaire de NANTES où elle a passé une IRM.

Au vu des résultats de cet examen, l’équipe médicale a pris la décision de ne pas pratiquer de thrombolyse en raison du délai écoulé depuis le début des symptômes et de l’extension de la dissection de l’artère vertébrale observée et donc d’administrer à la patiente un traitement classique.

À la suite de cet accident, la patiente a conservé un déficit fonctionnel permanent évalué à 66% au 3 octobre 2012, date de consolidation de son état de santé.

La patiente a alors saisi, le 20 mai 2011, la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux (CCI) des PAYS DE LA LOIRE, laquelle a ordonné une mesure d’expertise confiée à un médecin anesthésiste réanimateur et à un médecin neurologue, dont le rapport a été déposé le 19 décembre 2012, puis un complément d’expertise neurologique le 30 janvier 2014.

Par avis en date du 10 avril 2014, la CCI a conclu que les conditions de la prise en charge de la patiente étaient fautives et avaient privé la patiente de 30% de chance d’échapper au dommage dont elle a été victime.

Par jugement en date du 30 juin 2017, le Tribunal Administratif de NANTES a condamné solidairement le Centre Hospitalier Universitaire de NANTES et la SHAM, assureur de ce dernier, à verser à la patiente la somme de 352.458 euros et à la CPAM de la LOIRE-ATLANTIQUE la somme de 64.192 euros en remboursement de ses débours ainsi que la somme de 1.055 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.

Le Centre Hospitalier Universitaire de NANTES et la SHAM ont interjeté appel de cette décision.

Par voie d’appel incident, la CPAM de la LOIRE-ATLANTIQUE a demandé la condamnation du Centre Hospitalier Universitaire de NANTES et de la SHAM à la lui verser la somme totale de 452.519,89 euros.

Quant à la victime, elle a demandé, à titre subsidiaire, que la somme due au titre de son préjudice moral soit portée à 350.000 euros.

Par arrêt avant dire droit en date du 19 juillet 2019, la Cour Administrative d’Appel de NANTES a jugé que les conditions de prise en charge de la patiente par le Centre 15 étaient constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité du Centre Hospitalier Universitaire de NANTES, tout en constatant que l’absence de réalisation d’une thrombolyse était sans lien avec cette faute

Par ailleurs, elle a censuré le jugement du Tribunal Administratif de NANTES en ce qu’il a retenu la responsabilité du Centre Hospitalier Universitaire de NANTES à raison d’un défaut d’information.

Enfin, ne s’estimant pas en mesure d’apprécier si le retard de prise en charge et les coups portés par la victime avec sa tête sur la porte de ses voisins avaient pu avoir des conséquences défavorables sur l’évolution de l’AVC, ni de quantifier une éventuelle perte de chance, la Cour Administrative d’Appel de NANTES a ordonné une mesure d’expertise sur ces deux points.

Par ordonnance en date du 28 août 2019, le vice-président de la Cour Administrative d’Appel de NANTES a désigné un médecin neurochirurgien en qualité d’Expert, lequel a déposé son rapport le 29 novembre 2019.

Par mémoire en date du 24 décembre 2019, la victime a sollicité la nullité de ce rapport d’expertise, à ce qu’une nouvelle expertise soit ordonnée et, subsidiairement, au maintien de ses précédentes conclusions.

Aux termes de son mémoire, la victime soutient que l’Expert désigné a fait l’objet de poursuites pénales.

Par ailleurs, il n’a pas répondu à son dire et fait preuve de partialité pendant les opérations d’expertise.

Enfin, les conclusions de son rapport son critiquables quant à l’absence de perte de chance.

Toutefois, par arrêt en date du 21 février 2010 (Cour Administrative d’Appel de NANTES, 3ème Chambre, 21 février 2020, N°17NT02664), la Cour Administrative d’Appel de NANTES a refusé d’annuler ce rapport d’expertise motifs pris qu’il ne serait pas démontré que l’Expert n’aurait pas répondu aux Dires des parties ou qu’il aurait manifesté au cours de son expertise une attitude partiale, défavorable aux intérêts de la victime.

Par ailleurs, s’il est soutenu par la patiente que l’Expert désigné s’est vu infliger une sanction disciplinaire pour des faits incompatibles avec l’exercice d’une mission d’expertise par un jugement du 7 décembre 2018 de la Chambre Disciplinaire de Première Instance du CENTRE VAL-DE-LOIRE de l’Ordre des Médecins, il n’est pas contesté que l’intéressé a fait appel de ce jugement et que, la sanction qui lui a été infligée n’étant pas devenue définitive, il figure toujours régulièrement sur la liste des Experts.

La Cour Administrative d’Appel de NANTES estime donc que la désignation de cet Expert, dans la présente instance, n’est pas irrégulière.

En tout état de cause, selon la Cour Administrative d’Appel de NANTES, il résulte sans ambiguïté des conclusions du rapport de l’Expert Judiciaire désigné que, ni le retard avec lequel le CHU de NANTES a pris en charge la patiente, ni le fait que celle-ci a été contrainte, en conséquence de ce retard, de heurter de la tête la porte de ses voisins pour obtenir de l’aide, n’ont eu d’impact sur l’évolution de l’AVC dont elle a été victime le 4 octobre 2010 et des séquelles qu’elle a conservées.

Dans ces conditions, la Cour Administrative d’Appel de NANTES affirme qu’il n’est pas possible de retenir un lien de causalité entre le retard fautif de prise en charge de la patiente par le Centre 15, le ou les coups portés en raison de ce retard par elle sur une porte et les préjudices qu’elle a subis.

C’est donc à tort, selon la Cour Administrative d’Appel de NANTES, que le Tribunal Administratif de NANTES a indemnisé la patiente des préjudices résultant des séquelles de l’AVC dont elle a été victime, à l’exception du préjudice moral, dont le lien direct avec la faute commise par le SAMU dans la prise en charge de l’intéressée est établi.

En effet, et c’est là l’apport de cet arrêt, la Cour Administrative d’Appel de NANTES a accepté de retenir, au profit de la victime, un préjudice moral spécifique résultant des manquements commis par le SAMU dans la prise en charge de cette dernière.

Comme le rappelle la Cour Administrative d’Appel de NANTES, la patiente « a été abandonnée par l’institution qui aurait dû lui porter secours alors qu’elle était dans un état de grande souffrance physique et morale et qu’elle avait conscience de la pathologie dont elle était atteinte et de l’urgence à intervenir ».

Selon l’Expert la prise en charge réalisée par le SAMU 44 a été particulièrement fautive.

« Les conversations ont été inadaptées, les questions très orientées et l’ensemble de cet appel reflète une absence totale d’humanité face à la détresse que pouvait ressentir » la patiente.

Selon la Cour Administrative d’Appel de NANTES, la patiente a donc subi un préjudice moral spécifique, distinct des conséquences que la faute commis par le Centre 15 aurait pu avoir sur la prise en charge de sa pathologie et qui doit donc être indemnisé dans son intégralité.

La Cour Administrative d’Appel de NANTES évalue, en l’espèce, ce préjudice moral spécifique à 40.000 euros.

 Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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