Limites au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et recevabilité d’une demande d’indemnisation devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (la CIVI)
Le 21 août 2013, un homme a été violemment agressé à son domicile par un inconnu, à l’origine d’une Incapacité Totale de Travail (ITT) de 5 jours.
Postérieurement à sa reprise du travail le 2 septembre 2013, la victime a, de nouveau, été arrêtée du 28 septembre 2013 au 10 août 2015 en raison d’un syndrome post-traumatique sévère.
Le 7 février 2014, le Tribunal Correctionnel a déclaré l’auteur des faits coupable de violences avec arme ayant entraîné une Incapacité Totale de Travail inférieure à 8 jours, reçu la victime en sa constitution de partie civile, déclaré le prévenu responsable de son préjudice et renvoyé l’examen de l’affaire à une audience sur intérêts civils.
Par jugement en date du 26 juillet 2016, le Tribunal Correctionnel, statuant sur intérêts civils sur la base d’un rapport d’expertise médicale, a condamné le prévenu à verser à la victime une certaine somme d’argent en réparation de son préjudice corporel.
Le 4 octobre 2016, la victime a saisi une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (la CIVI) aux fins de solliciter la réparation intégrale de son préjudice.
Cette dernière a alors rejeté la demande d’indemnisation formulée par la victime.
Par arrêt en date du 15 mars 2018, la Cour d’Appel de NANCY a déclaré irrecevable la demande d’indemnisation de la victime devant la CIVI au visa de l’article 706-3 du Code de Procédure Pénale.
Cet article dispose que :
« Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l’article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
-soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
-soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ».
Pour qu’une victime soit recevable à formuler une demande d’indemnisation devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions, elle doit notamment rapporter la preuve, d’une part de l’existence de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction et, d’autre part d’une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.
Comme le rappelle la Cour d’Appel de NANCY, « les décisions pénales ont au civil l’autorité absolue de la chose jugée en ce qui concerne la qualification du fait incriminé ».
Elle ajoute que par jugement en date du 7 février 2014, le Tribunal Correctionnel a déclaré le prévenu coupable de faits de violences avec arme sur la victime, suivies d’une ITT inférieure à 8 jours, en l’occurrence 5 jours.
Or, selon la Cour d’Appel de NANCY, cette qualification pénale de « violences volontaires avec arme, suivies d’une ITT inférieure à 8 jours » s’impose au juge civil, de telle sorte qu’il n’était pas possible à la victime de saisir la CIVI puisque son incapacité totale de travail était bien inférieure à un mois.
Toujours selon la Cour d’Appel de NANCY, la CIVI était donc bien fondée à rejeter la demande indemnitaire de la victime.
Cette dernière s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son pourvoi, la victime fait grief à l’arrêt de la Cour d’Appel de NANCY de déclarer irrecevable sa demande d’indemnisation devant la CIVI.
Selon la victime, « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des évènements nouveaux sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ».
Elle rappelle qu’après avoir reconnu le prévenu coupable des faits de violences volontaires avec usage ou menace d’une arme suivie d’une incapacité n’excédant pas huit jours par jugement du 7 février 2014, le Tribunal Correctionnel a ordonné une expertise médicale.
La victime poursuit en rappelant que, par jugement en date du 28 juillet 2016 statuant sur intérêts civils, le Tribunal Correctionnel a adopté les conclusions de l’Expert quant à l’existence d’un syndrome post-traumatique sévère et d’une incapacité totale professionnelle corrélative du 21 août 2013 au 10 août 2015.
Dans son jugement en date du 28 juillet 2016, le Tribunal Correctionnel aurait, selon la victime, retenu une incapacité totale professionnelle répondant aux exigences de l’article 706-3 du Code de Procédure Pénale, à savoir supérieure à 1 mois.
Par conséquent, sa demande d’indemnisation devant la CIVI serait parfaitement recevable.
Or, par arrêt en date du 5 mars 2020 (Cour de cassation, Civile 2ème, 5 mars 2020, Pourvoi n°19-12720), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par la victime et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de NANCY.
Comme le rappelle la Cour de cassation, « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s’étend qu’à ce qui a été nécessairement décidé par le juge répressif quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, à sa qualification et à l’innocence ou la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ».
Elle ajoute que « l’autorité de chose jugée, attachée au jugement déclarant l’auteur des faits, dont M. E… a été victime, coupable de violences avec arme ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours, ne faisait pas obstacle à ce que qu’il fût jugé que ces faits délictueux avaient entraîné, pour la victime, une incapacité totale de travail personnel, au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale, supérieure à l’ITT retenue par le juge répressif pour l’application du texte pénal d’incrimination, et qu’il appartenait, dès lors, [à la Cour d’Appel] de rechercher si l’incapacité totale de travail personnel subie par M. E… était égale ou supérieure à un mois ».
Selon la Cour de cassation, le fait que le juge répressif ait condamné l’auteur des faits pour violences volontaires avec arme ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours n’empêchait, en aucun cas, le juge en charge de l’indemnisation de la victime de retenir une ITT supérieure au juge répressif.
Le jugement en charge de l’indemnisation aurait donc dû rechercher si l’incapacité totale de travail personnel subie par la victime était inférieure, égale ou supérieure à un mois, comme l’exige l’article 706-3 du Code de procédure pénal.
Pour ce faire, le juge en charge de l’indemnisation aurait notamment dû tenir compte, d’une part du syndrome post-traumatique développé par la victime après les faits et, d’autre part du rapport déposé par l’Expert à la demande du Tribunal.
Force est donc de constater que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil n’est pas absolue ; la quantification de l’ITT retenue par le juge répressif peut parfaitement être appréciée différemment par le juge saisi ultérieurement, sur intérêts civils, de l’indemnisation des préjudices subis par la victime.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.