Préjudice d’établissement de la victime directe et préjudice moral des proches en cas d’exposition au Distilbène

Actualité Tondu Avocat Préjudice d’établissement de la victime directe et préjudice moral des proches en cas d’exposition au Distilbène
Publié le 2/03/20

Une femme, exposée in utero au diéthylstilbestrol, plus connu sous le nom de Distilbène, a assigné en responsabilité et indemnisation de ses préjudices le laboratoire producteur du médicament.

Son époux est intervenu volontairement à la procédure.

Par arrêt en date du 23 novembre 2017, la Cour d’Appel de VERSAILLES a toutefois débouté la victime de sa demande indemnitaire au titre de son préjudice d’établissement.

Comme le rappelle la nomenclature Dintilhac :

« Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale « normale » en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteint la victime après consolidation : il s’agit de la perte d’une chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants et plus généralement des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui l’obligent à effectuer certaines renonciations sur le plan familial.

Il convient ici de le définir par référence à la définition retenue par le Conseil National de l’aide aux victimes comme « la perte d’espoir et de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale (se marier, fonder une famille, élever des enfants, etc.) en raison de la gravité du handicap ».

Ce type de préjudice doit être apprécié in concreto pour chaque individu en tenant compte notamment de son âge ».

Pour rejeter la demande indemnitaire au titre du préjudice d’établissement, la Cour d’Appel de VERSAILLES commence par préciser que la victime se trouvait effectivement dans l’impossibilité de procréer.  

Elle ajoute que le poste « préjudice d’établissement » « répare la perte d’espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap ».

Cependant, selon elle, l’impossibilité de procréer subie par la victime avait déjà fait l’objet d’une indemnisation dans le cadre du poste « déficit fonctionnel permanent » et ne pouvait, au surplus, être assimilée à un handicap.

Ainsi, selon la Cour d’Appel de VERSAILLES, l’impossibilité de procréer ne devait pas être indemnisée de façon autonome dans le cadre du préjudice d’établissement mais était incluse dans le déficit fonctionnel permanent.

Toujours aux termes de ce même arrêt, la Cour d’Appel de VERSAILLES a également débouté l’époux de la victime directe de sa demande indemnitaire au titre de son préjudice moral.

Elle expose en effet que « le préjudice moral des proches à la vue de la souffrance de la victime directe est réservé aux hypothèses dans lesquelles ils sont soumis au spectacle de la survie diminuée et gravement handicapée de la victime directe, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ».

Tant la victime directe exposée au Distilbène que son époux se sont donc pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.

Par arrêt en date du 14 novembre 2019 (Cour de cassation, Civile 1ère, 14 novembre 2019, Pourvoi n°18-10794), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation des victimes et censuré la décision rendue par la Cour d’Appel de VERSAILLES et ce, au visa de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil, et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Comme le rappelle la Cour de cassation, le préjudice d’établissement consiste en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravite du handicap.

Or, le préjudice d’établissement est un poste de préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent.

Il doit donc faire l’objet d’une indemnisation autonome et doit être évalué indépendamment des indemnités déjà allouées au titre du déficit fonctionnel permanent.

Ensuite, s’agissant du préjudice moral ou d’affection des proches, la Cour de cassation précise qu’il ouvre droit à réparation dès lors qu’il est caractérisé et ce, quelle que soit la gravité du handicap de la victime directe.   

La Cour d’Appel de VERSAILLES ne pouvait donc pas exclure toute indemnisation au titre du préjudice moral du conjoint en considérant que le handicap de la victime exposée au Distilbène ne serait pas suffisamment grave.

L’arrêt de la Cour d’Appel de VERSAILLES en date du 23 novembre 2017 est donc cassé et l’affaire est renvoyée devant la Cour d’Appel de PARIS.

Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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