Rappel des règles d’indemnisation du préjudice moral ou d’affection subi par les proches de la victime directe

Actualité Tondu Avocat Rappel des règles d’indemnisation du préjudice moral ou d’affection subi par les proches de la victime directe
Publié le 9/03/20

Afin de tenter d’harmoniser les règles d’indemnisation des préjudices subis par les victimes de dommages corporels, une nomenclature des postes de préjudice a été adoptée au cours de l’année 2006, appelée nomenclature Dintilhac.

Cette nomenclature, qui n’a pas de force obligatoire, repose sur une triple distinction des postes de préjudice :

  • La distinction entre les préjudices subis par la victime directe et les préjudices subis par les victimes indirectes, aussi appelées victimes par ricochet ;
  • La distinction entre les préjudices patrimoniaux et ceux de nature extrapatrimoniale ;
  • La distinction entre les préjudices temporaires et ceux de nature permanente ou définitive ;

Par ailleurs, la nomenclature Dintilhac énumère une liste, non limitative, de postes de préjudices ouvrant droit à indemnisation au profit des victimes directes et indirectes.

En cas de décès de la victime directe, elle précise que les victimes indirectes peuvent solliciter la réparation de leurs préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux.

S’agissant des préjudices extrapatrimoniaux, la nomenclature Dintilhac prévoit notamment l’indemnisation du moral des proches, aussi appelé préjudice d’affection.

Plus précisément, elle expose que :

« Il s’agit d’un poste de préjudice qui répare le préjudice d’affection que subissent certains proches à la suite du décès de la victime directe. Il convient d’inclure, à ce titre, le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches.

En pratique, il y a lieu d’indemniser quasi-automatiquement les préjudices d’affection des parents les plus proches de la victime directe (père et mère, etc.).

Cependant, il convient également d’indemniser, à ce titre, des personnes dépourvues de lien de parenté, dès lors qu’elles établissent par tout moyen avoir entretenu un lien affectif réel avec le défunt ».

Par un arrêt en date du 24 octobre 2019 (Cour de cassation, Civile 2ème, 24 octobre 2019, Pourvoi n°18-15827), la Cour de cassation est venue rappeler les règles et conditions d’indemnisation du préjudice moral ou d’affection des proches de la victime directe.

En l’espèce, à la suite du meurtre, le 18 décembre 1986, d’une jeune femme âgée de 16 ans au moment des faits, sa mère, son beau-père et ses deux sœurs ont saisi une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (la CIVI) qui, par décision en date du 12 juin 1991, leur a alloué diverses sommes en réparation de leurs préjudices.

Par arrêt de la Cour d’Assises en date du 18 juin 2015, l’auteur de l’infraction a été condamné.

Cet arrêt a été confirmé en appel, le 24 juin 2016.

L’auteur de l’infraction a notamment été condamné à verser des indemnités d’un montant supérieur à la mère, au beau-père et aux deux sœurs de la victime directe en réparation de leur préjudice moral.

Il a également été condamné à indemniser, au titre du préjudice moral, neuf autres membres de la famille qui s’étaient constitués partie civile, à savoir des oncles, tante et cousines.

Ces derniers ont alors saisi la CIVI en réparation de leur préjudice d’affection.

Toutefois, par arrêt en date du 27 février 2018, la Cour d’Appel de DIJON a débouté les oncles, tante et cousines de leur demande d’indemnisation de leur préjudice d’affection.

Pour ce faire, la Cour d’Appel de DIJON expose qu’il « appartient aux personnes qui n’ont pas un lien familial direct avec la victime décédée d’apporter la preuve de la relation affective étroite qui les unissait à la défunte ».

Or, la Cour d’Appel de DIJON ajoute que « les quelques photographies produites ne permettant pas à elles seules de caractériser les liens d’affection particuliers qui unissaient les oncles et tante à leur nièce et les cousines à la victime à l’époque de l’infraction, étant observé que les cousines requérantes étaient âgées de 6 à 11 ans au moment du drame et qu’elles ne partageaient pas nécessairement les jeux et activités de leur aînée, âgée de 16 ans ».

Ainsi, selon la Cour d’Appel de DIJON, les oncles, tantes et cousins « ne rapportent pas la preuve d’un préjudice d’affection allant au-delà du sentiment de perte et de tristesse causé par le décès d’un membre d’une famille ».  

La Cour d’Appel de DIJON entendait donc subordonner l’indemnisation du préjudice moral ou d’affection des proches de la victime directe à une double preuve :

  • La preuve de l’existence d’une relation affective étroite avec la victime ;
  • La preuve d’un préjudice d’affection allant au-delà du sentiment de perte et de tristesse causé par le décès d’un membre d’une famille.

Les oncles, tante et cousines se sont donc pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.

Par arrêt en date du 24 octobre 2019 (Cour de cassation, Civile 2ème, 24 octobre 2019, Pourvoi n°18-15827), la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par les victimes et censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de DIJON et ce, au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Comme le rappelle la Cour de cassation, la seule preuve exigible pour obtenir l’indemnisation du préjudice moral ou d’affection des proches était celle d’un « préjudice personnel direct et certain ».  

Par conséquent, la Cour d’Appel de DIJON a ajouté des conditions qui n’étaient pas prévues pour l’indemnisation de ce poste de préjudice.

L’affaire est donc renvoyée devant la Cour d’Appel de LYON pour statuer à nouveau sur le préjudice moral et d’affection des proches de la jeune victime décédée.  

Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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