Amputation consécutive à un accident de la circulation et réparation intégrale des frais de prothèses de la victime
A la suite d’un accident de la circulation à l’origine d’une amputation, la victime peut être contrainte d’effectuer différentes dépenses de santé, notamment pour faire l’acquisition tout au long de sa vie de prothèses lui permettant de compenser, autant que possible, son handicap.
Les frais occasionnés par ces acquisitions ouvrent alors droit à réparation pour la victime.
Afin d’harmoniser les règles d’indemnisation des préjudices subis par les victimes, une nomenclature des postes de préjudice a été adoptée au cours de l’année 2006, appelée nomenclature Dintilhac.
Cette nomenclature repose sur une triple distinction des postes de préjudice :
- La distinction entre les préjudices subis par la victime directe et les préjudices subis par les victimes indirectes, aussi appelées victimes par ricochet ;
- La distinction entre les préjudices patrimoniaux et ceux de nature extrapatrimoniale ;
- La distinction entre les préjudices temporaires et ceux de nature permanente ou définitive ;
Par ailleurs, la nomenclature Dintilhac énumère une liste, non limitative, de postes de préjudices ouvrant droit à indemnisation au profit de la victime dont les « Dépenses de Santé Futures », le « Préjudice Esthétique Permanent » et le « Préjudice d’Agrément ».
S’agissant des « Dépenses de Santé Futures », poste de nature patrimoniale, la nomenclature Dintilhac, précise que :
« Les dépenses de santé futures sont les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après consolidation.
Ils sont postérieurs à la consolidation de la victime, dès lors qu’ils sont médicalement prévisibles, répétitifs et rendus nécessaires par l’état pathologique permanent et chronique de la victime après sa consolidation définitive (frais liés à des hospitalisations périodiques dans un établissement de santé, à un suivi médical assorti d’analyses, à des examens et des actes périodiques, des soins infirmiers, ou autres frais occasionnels, etc.).
Ces frais futurs ne se limitent pas aux frais médicaux au sens strict : ils incluent, en outre, les frais liés, soit à l’installation de prothèses pour les membres, les dents, les oreilles ou les yeux, soit à la pose d’appareillages spécifiques qui sont nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique permanent qui demeure après consolidation ».
Concernant le « Préjudice d’Agrément », poste de nature extrapatrimoniale, cette même nomenclature rappelle que :
« Ce poste vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.
Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto compte tenu de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.) ».
Enfin, le « Préjudice Esthétique Permanent », poste de nature extrapatrimoniale, est définit de la façon suivante :
« Ce poste cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l’apparence physique de la victime notamment comme le fait de devoir se présenter avec une cicatrice permanente sur le visage.
Ce préjudice a un caractère strictement personnel et il est en principe évalué par les experts selon une échelle de 1 à 7 (de très léger à très important) ».
Par un arrêt en date du 17 décembre 2019 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 décembre 2019, Pourvoi n°18-85191), la Cour de cassation est venue rappeler le principe de l’autonomie de ces différents postes de préjudices mais aussi et surtout le droit à réparation intégrale de la victime pour les dépenses qu’elle est contrainte d’effectuer afin de faire l’acquisition de prothèses adaptées à son handicap.
En l’espèce, le 19 octobre 2006, un homme a été victime d’un accident de la circulation à l’origine de l’amputation de sa jambe gauche.
Le conducteur responsable, assuré auprès de la société GMF, a été déclaré tenu à réparation intégrale au profit de la victime.
Après plusieurs épisodes d’une longue aventure judiciaire, la Cour d’Appel de CAEN a, par arrêt en date du 20 avril 2018, refusé d’indemniser la victime au titre de ses « Dépenses de Santé Futures » pour l’acquisition et le renouvellement de prothèses esthétiques ainsi que pour l’acquisition et le renouvellement de prothèses de sport.
Selon la Cour d’Appel de CAEN, la victime ne pouvait pas se faire rembourser l’achat de ces prothèses dans la mesure où elle avait déjà reçu des indemnités en réparation des postes « Préjudice Esthétique Permanent » et « Préjudice d’Agrément ».
Cumuler l’indemnisation pour les prothèses et celle pour les préjudice esthétique permanent et d’agrément, aurait conduit, selon la Cour d’Appel de CAEN, à indemniser deux fois la victime pour les mêmes postes de préjudice et violer le principe de la réparation intégrale.
La victime s’est alors pourvue en cassation à l’encontre de cette décision.
Or, par arrêt en date du 17 décembre 2019 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 décembre 2019, Pourvoi n°18-85191), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de CAEN et fait droit à l’argumentation développée par la victime.
Comme le rappelle la Cour de cassation au visa du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime :
« la réparation du préjudice esthétique permanent, de nature extra-patrimoniale et consistant en l’altération de l’apparence physique de la victime, ne saurait exclure par principe le droit à l’indemnisation de dépense de santé futures destinées à acquérir et à renouveler une prothèse esthétique, ces deux chefs de préjudice étant distincts ».
Par ailleurs :
« la réparation du préjudice d’agrément, de nature extra-patrimoniale et consistant en l’impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs dans les mêmes conditions qu’avant l’accident, ne saurait exclure, par principe, le droit à l’indemnisation de dépenses de santé futurs, destinées à acquérir et à renouveler une prothèse de sport permettant la pratique d’activités physiques, ces deux chefs étant distincts ».
Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle donc l’autonomie des postes « Dépenses de Santé Futures », « Préjudice Esthétique Permanent » et « Préjudice d’Agrément ».
En application du principe de la réparation intégrale, la victime peut ainsi parfaitement cumuler les indemnisations de ces différents postes de préjudices.
Par conséquent, l’ensemble des frais d’acquisition et renouvellement des différentes prothèses (prothèse principale, prothèse de secours, prothèse esthétique, prothèse de sport…), exposés par la victime tout au long de sa vie, seront pris en charge par la compagnie d’assurance du conducteur responsable.
Pour chiffrer au mieux ce poste de préjudice, l’intervention d’un ergothérapeute peut alors s’avérer très utile.
En effet, de part ses connaissances et son expérience, l’ergothérapeute pourra, d’une part évaluer la situation de handicap de la victime ainsi que ses capacités résiduelles et, d’autre part définir les aides nécessaires pour compenser ce handicap, en l’espèce les prothèses.
L’ergothérapeute pourra procéder à la rédaction d’un rapport d’évaluation décrivant aussi précisément que possible les besoins de la victime ainsi que les moyens de compensation envisagés, au besoin en annexant des devis descriptifs et estimatifs.
Ce rapport d’évaluation permettra de déterminer les besoins réels de la victime au regard du poste « Dépenses de Santé Futures » pour l’acquisition et le renouvellement des prothèses mais aussi au titre des autres postes de préjudices de la nomenclature Dintilhac si d’autres moyens de compensation sont nécessaires (frais divers, dépenses de santé actuelles, dépenses de santé futures, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, assistance par une tierce personne…).
L’ergothérapeute devra préciser si les moyens de compensation envisagés sont provisoires ou permanents et tenir compte de la situation de la victime, notamment si son état de santé est consolidé ou non.
Pour être pertinent, ce rapport d’évaluation devra être le plus descriptif et le plus argumenté possible quant :
- au choix des moyens de compensation (aides techniques, aides technologiques, aides animalières, aides humaines) ;
- au matériel préconisé ;
- aux périodes de renouvellement…
L’avis technique de l’ergothérapeute permettra ainsi d’aider le médecin conseil, l’Expert, les avocats et le Juge dans leur réflexion relative à l’évaluation des différents postes de préjudice de la victime.
Si la situation le justifie, une évaluation pluridisciplinaire de la situation de handicap de la victime pourra intervenir en présence de l’équipe médicale, du kinésithérapeute, d’un architecte, d’un neuropsychiatre…
En tout état de cause, le rapport d’évaluation établi par l’ergothérapeute permettra d’assurer la réparation intégrale des préjudices subis par la victime et de compenser au mieux son handicap afin que celle-ci puisse, autant que faire se peut, reprendre une vie la plus normale possible à la suite de son accident.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.