Sanction de l’abus de faiblesse commis par un notaire
L’article 223-15-2 du Code Pénal dispose que :
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende ».
Sur le fondement des dispositions précitées, un notaire a fait l’objet de poursuites pénales pour avoir abusé de la faiblesse d’une femme dont il était le curateur en lui faisant accomplir des actes préjudiciables à ses intérêts, lesquels ont conduit à la dilapidation de son patrimoine.
Le 18 janvier 2006, le notaire a notamment fait souscrire à sa victime un contrat d’assurance-vie ; le bénéficiaire de celle-ci n’était autre que la fille du notaire.
Par ailleurs, au moment de la signature du contrat d’assurance-vie la victime présentait un syndrome de glissement emportant une perte du goût de vivre, souffrait d’une insuffisance rénale aigue nécessitant de fréquentes dialyses et était également atteinte de problèmes de vue et de difficultés au niveau des membres inférieurs l’empêchant de marcher.
En 2012, une modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie est intervenue ; à compter de cette date, les petits-enfants du notaire sont devenus bénéficiaires de l’assurance-vie, en lieu et place de leur mère.
C’est dans ce contexte que le notaire a été poursuivi puis déclaré coupable d’abus de faiblesse par le Tribunal Correctionnel.
Le notaire a alors interjeté appel du jugement en soutenant, d’une part que les faits seraient prescrits et, d’autre part qu’il n’aurait commis aucune infraction.
Par arrêt en date du 10 juillet 2018, la Cour d’Appel de DOUAI a rejeté l’argumentation du notaire et l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et 75.000 euros d’amende.
Pour écarter toute prescription, la Cour d’Appel a rappelé qu’en matière d’abus de faiblesse, la prescription ne commence à courir qu’à partir du dernier prélèvement effectué sur le patrimoine de la victime, lorsque l’abus de faiblesse procède d’un mode opératoire unique.
Or, la souscription d’un contrat d’assurance-vie par la victime au profit de la fille du notaire, le 18 janvier 2006 pour un montant de 75.000 euros, et la modification de la clause bénéficiaire en mars 2012 afin de le transférer aux petits-enfants du notaire, procédaient d’une opération unique.
Par conséquent, l’action publique n’était pas prescrite à l’égard de l’ensemble de cette opération au mois de mai 2012, date à laquelle elle a été interrompue par une réquisition d’enquête du Procureur de la République.
Par ailleurs, la victime était bien en situation de faiblesse en janvier 2006 et ce, dès lors qu’elle présentait un syndrome de glissement emportant une perte du goût de vivre, souffrait d’une insuffisance rénale aigue nécessitant de fréquentes dialyses et était également atteinte de problèmes de vue et de difficultés au niveau des membres inférieurs l’empêchant de marcher.
La Cour d’Appel de DOUAI a également relevé que la signature de la victime avait été obtenue dans la clinique où elle se trouvait et ce, malgré l’intervention du médecin gériatre de l’établissement qui avait essayé de l’empêcher en raison, d’une part de l’altération de la lucidité de celle-ci imputable à sa pathologie rénale et, d’autre part de l’insistance mise par un notaire et un conseiller financier, agissant à la demande du prévenu, à recueillir la signature de la victime ayant retardé le transfert de cette dernière par le SAMU vers un hôpital où la dégradation de son état de santé imposait de la faire admettre dans un service de réanimation.
De plus, le notaire connaissait la situation de faiblesse de la victime.
En outre, la souscription de ce contrat d’assurance-vie, pour un montant représentant le quart des actifs bancaires de la victime, était gravement préjudiciable à celle-ci, ses faibles revenus nécessitant de maintenir son patrimoine liquide en vue de régler les dépenses liées à son entretien pendant la fin de sa vie, le capital placé au titre de cette assurance-vie n’étant plus disponible sans pénalité et le seul intérêt lié à cette opération étant de préparer la transmission des fonds aux membres de la famille du notaire, en franchise des droits de succession.
Par conséquent, le délit d’abus de faiblesse était bien constitué selon la Cour d’Appel de DOUAI.
Le notaire s’est toutefois pourvu en cassation à l’encontre de cet arrêt en soulevant, une nouvelle fois, la prescription de l’action et l’absence d’infraction.
Cependant, par arrêt en date du 18 septembre 2019 (Cour de cassation, Chambre Criminelle, 18 septembre 2019, Pourvoi n°18-85038), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du notaire et confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de DOUAI.
Selon la Cour de cassation, l’action n’était pas prescrite dès lors que « la modification de la clause relative au bénéficiaire caractérise, au même titre que la souscription d’un contrat d’assurance-vie, le délit d’abus de faiblesse ».
Par ailleurs, le délit d’abus de faiblesse était bien constitué, de telle sorte que la condamnation du notaire à un an d’emprisonnement avec sursis et 75.000 euros d’amende a été confirmée.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.