Syndrome du Bébé Secoué : Rappel des règles d’indemnisation par la Cour de cassation
Chaque année en France, environ 155.000 personnes sont victimes de traumatismes cranio-cérébraux (TCC), plus couramment appelés traumatismes crâniens (TC) ; 80% sont qualifiés de léger, 10% de modéré et 10% de sévère.
S’agissant de l’enfant, le traumatisme crânien constitue la troisième cause de mortalité chez le nourrisson de moins d’un an et la première cause au-delà de cet âge. L’incidence chez l’enfant se situerait entre 180 et 350 nouveaux cas par an pour 100.000 habitants.
Les principales causes chez l’enfant sont les chutes, les défenestrations, les accidents de la voie publique mais également le syndrome du bébé secoué (SBS).
Ce dernier constitue la forme la plus fréquente de maltraitance chez le très jeune enfant. Ses conséquences s’avèrent particulièrement graves car le syndrome du bébé secoué cumule trois facteurs de mauvais pronostic, à savoir le très jeune âge de l’enfant (généralement moins de 2 ans), la présence de lésions cérébrales diffuses (lésions axonales diffuses) et, dans certains cas, le caractère répétitif des secouements. Le taux de mortalité se situe aux alentours de 20% et 75% des enfants survivants présentent des séquelles plus ou moins étendues.
En effet, lorsqu’un bébé est secoué, maintenu au niveau du torse ou des épaules, son cerveau est amené à se déplacer dans sa boîte crânienne dans un mouvement de va-et-vient qui va engendrer des lésions au niveau des méninges (hématome extra-dural, hématome sous-dural…) et de l’encéphale (lésions axonales diffuses, hématome intra-cérébral…). D’autres lésions peuvent également être mises en évidence par les équipes de soins au niveau du cou, du rachis cervical, des membres, des côtes, de l’œil…
Un enfant victime du syndrome du bébé secoué conservera, tout au long de sa vie, des séquelles plus ou moins graves, allant du retard de développement au coma persistant en passant par des troubles moteurs, cognitifs et comportementaux à des degrés variables. En général, les séquelles physiques régressent rapidement et fortement chez l’enfant, lequel donne l’apparence d’aller bien alors que ses séquelles cognitives et comportementales peuvent être majeures ; c’est ce que l’on appelle le « handicap invisible ».
Contrairement aux idées reçues, il est plus grave d’avoir un traumatisme crânien dans l’enfance qu’à l’âge adulte. En effet, plus l’enfant est jeune et plus ses acquis sont faibles. De plus, son cerveau étant en cours de maturation, ces régions immatures s’avèrent plus fragiles, étant ici précisé que les régions du cerveau se développent à des rythmes différents au cours de l’enfance.
Ainsi, plus l’enfant est jeune au moment du traumatisme crânien et plus les séquelles seront graves ; en outre, plus le traumatisme crânien sera sévère et plus les séquelles seront importantes.
Si certaines lésions sont évidentes rapidement (hémiplégie, cécité, épilepsie…), d’autres, en revanche, n’apparaissent qu’à distance. L’enfant étant un être en développement, certaines fonctions n’étaient pas encore acquises au moment du secouement. Ce n’est que lorsque l’enfant aura grandi qu’il sera possible de constater si le secouement a eu un impact ou non sur le développement de certaines fonctions cognitives et comportementales.
La circulaire DHOS/DGS/DGAS du 18 juin 2004 précise les règles de prise en charge des personnes victimes de traumatismes crâniens. Plus précisément, elle établit les « principes organisationnels de la prise en charge sanitaire, médico-sociale et sociale des traumatisés crânio-cérébraux et des traumatisés médullaires, dès l’accident et tout au long de leur vie ». Cette circulaire « met l’accent sur les caractéristiques de ces blessés et sur la nécessité d’apporter rapidité, fluidité, pertinence et durabilité à leur prise en charge, sur les plans physique, psychique et social. Elle préconise une organisation en réseau d’acteurs expérimentés et identifiés. Elle insiste également sur l’accueil, l’écoute, l’information et le soutien indispensables aux proches des personnes traumatisées ».
Les traumatismes cranio-encéphaliques chez l’enfant impliquent une prise en charge globale, pluridisciplinaire (médecins de médecine physique et réadaptation, pédiatres, psychologues, neuropsychologues, ergothérapeutes, orthophonistes, kinésithérapeutes, assistants sociaux, éducateurs, médecins généralistes, médecins scolaires, enseignants…).
Parallèlement à cette prise en charge médico-sociale, l’enfant victime du syndrome du bébé secoué aura également droit à la réparation intégrale de ses préjudices, que l’auteur du secouement soit l’un de ses parents ou un tiers.
C’est d’ailleurs ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un arrêt en date du 7 mars 2019 (Cour de cassation, Civile 2ème, 7 mars 2019, Pourvoi n°17-25855).
En l’espèce, un enfant, âgé de 4 mois au moment des faits, a été hospitalisé en urgence dans la nuit du 24 au 25 janvier 1996. Lors de son hospitalisation, les médecins ont mis en évidence la présence d’un hématome sous-dural dont l’enfant a conservé par la suite d’importantes séquelles.
Une plainte, déposée par son père, a été classée sans suite, le 14 mai 1996.
Les parents de l’enfant, agissant tant en leurs noms personnels qu’au nom de leurs enfants mineurs, ont, le 15 juillet 2010, saisi une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) d’une demande d’indemnisation de leurs préjudices.
Aux termes du rapport d’expertise, ordonné en cause d’appel, il apparaît que les lésions présentées par l’enfant étaient bien imputables à des violences de type « bébé secoué ».
C’est dans ce contexte qu’une indemnisation a été sollicitée devant la Cour d’Appel de DIJON par les parents agissant, d’une part en qualité de tuteurs de leur enfant victime du syndrome du bébé secoué et, d’autre part en qualité de représentant légal de leur autre fils mineur. Une sœur, devenue majeure depuis, est intervenue volontairement à la procédure.
Or, dans son arrêt en date du 11 juillet 2017, la Cour d’Appel de DIJON n’a pas fait droit à l’intégralité des demandes indemnitaires de la famille, s’agissant notamment de l’assistance par une tierce personne, des pertes de gains professionnels futurs de l’enfant victime, de son préjudice scolaire, universitaire ou de formation et de son préjudice esthétique temporaire.
En effet, concernant l’assistance par une tierce personne, la Cour d’Appel de DIJON a accepté de verser une indemnité, de laquelle elle avait néanmoins déduit l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé (AEEH) et son complément, versés à la victime du syndrome du bébé secoué.
Selon la Cour d’Appel de DIJON, ces allocations revêtaient un caractère indemnitaire « dès lors qu’elles ne sont pas attribuées sous condition de ressources et que, fixées en fonctions des besoins individualisées de l’enfant, elles réparent certains postes de préjudice indemnisables ».
Toutefois, dans son arrêt en date du 7 mars 2019 (Cour de cassation, Civile 2ème, 7 mars 2019, Pourvoi n°17-25855), la Cour de cassation a infirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de DIJON sur ce point.
En effet, comme le rappelle la Cour de cassation, « l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire ».
« Qu’en effet, dès lors que cette allocation est due à la personne qui assume la charge d’un enfant handicapé dont l’incapacité permanente est au moins égale à un taux déterminé, qu’elle est destinée à compenser les frais d’éducation et de soins apportées par cette personne à l’enfant jusqu’à l’âge de 20 ans, qu’elle est fixée, sans tenir comptes des besoins individualisés de l’enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales, cette prestation à affectation spéciale, liée à la reconnaissance de la spécificité des charges induites par le handicap de l’enfant, constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant ».
Par conséquent, l’indemnité allouée à l’enfant victime du syndrome du bébé secoué, au titre de l’assistance par une tierce personne, devait être évaluée sans tenir compte de l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé versée à ses parents.
Ensuite, concernant les pertes de gains professionnels futurs, la Cour d’appel de DIJON a accepté de les indemniser sur une base mensuelle de 1.200 euros. Toutefois, elle rappelle, dans le même temps, que l’enfant victime s’est vu attribuer l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) qui s’élevait à la somme de 807,65 euros au 8 janvier 2016. Selon la Cour d’Appel de DIJON, il devait donc être tenu compte de l’AAH pour calculer les pertes de gains professionnels futurs de l’enfant.
Encore une fois, dans son arrêt en date du 7 mars 2019 (Cour de cassation, Civile 2ème, 7 mars 2019, Pourvoi n°17-25855), la Cour de cassation censure la décision rendue par la Cour d’Appel de DIJON au regard des dispositions de l’article 706-9 du Code de Procédure Pénal et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
Comme elle le précise, l’Allocation Adulte Handicapée est dépourvue de caractère indemnitaire ; celle-ci ne devait donc pas être prise en compte pour évaluer les pertes de gains professionnels futurs de l’enfant victime.
En outre, la Cour d’Appel de DIJON a refusé d’indemniser l’enfant victime du syndrome du bébé secoué au titre de son préjudice scolaire, universitaire ou de formation, considérant que l’impossibilité de suivre une scolarité avait déjà fait l’objet d’une réparation dans le cadre de l’évaluation de son déficit fonctionnel permanent.
Là encore, dans son arrêt en date du 7 mars 2019 (Cour de cassation, Civile 2ème, 7 mars 2019, Pourvoi n°17-25855), la Cour de cassation censure l’argumentation de la Cour d’Appel de DIJON.
En effet, comme elle le rappelle, « le préjudice scolaire, universitaire ou de formation constitue un poste de préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent ».
Or, il ressortait des propres constatations de la Cour d’Appel de DIJON que la victime était dans l’impossibilité de suivre une scolarité, ce qui ouvrait donc droit, au profit de l’enfant, à indemnisation autonome et spécifique au titre de son préjudice scolaire, universitaire ou de formation.
Enfin, la Cour d’Appel de DIJON avait également refusé d’indemniser la victime au titre de son préjudice esthétique temporaire, estimant que « le préjudice esthétique définitif décrit par l’expert se confond intégralement avec le préjudice esthétique temporaire et qu’il n’y a pas lieu dès lors de prévoir une indemnisation distincte pour la période antérieure à la consolidation ».
Une nouvelle fois, la décision rendue par la Cour d’Appel de DIJON a été censurée par la Cour de cassation.
Comme le rappelle cette dernière, « le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent ».
Selon les propres constatations de la Cour d’Appel de DIJON, il y avait bien eu une « altération de l’apparence de la victime avant la date de consolidation de son état de santé ».
Par conséquence, l’enfant victime du syndrome du bébé secoué avait bien droit à une indemnisation au titre de son préjudice esthétique temporaire.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.