Responsabilité délictuelle d’un guide de haute montagne en cas de décès d’une participante lors d’une avalanche
Le 5 février 2010, une femme âgée de 48 ans au moment des faits et mère de trois enfants a trouvé la mort dans une avalanche sur le territoire de la commune de CEILLAC.
Membre d’un club d’escalade de la région parisienne, affiliée à la Fédération Française de Montagne et d’Escalade, elle participait à un séjour de quatre jours, organisé par ce club, dans les Hautes Alpes et ce, dans le but de pratiquer l’escalade de cascades de glace et le ski de randonnée, sous encadrement de guides de haute montagne.
Le jour de l’accident, la victime se trouvait dans un groupe de quatre personnes, accompagné d’un guide de haute montagne, et avait escaladé sans difficulté particulière la cascade dénommée « EASY RIDER ».
Sur proposition du guide de haute montagne et en présence de deux membres du groupe, la victime a accepté d’effectuer l’escalade d’une seconde cascade, dénommée « VERMICELLE ».
Alors que le groupe remontait le couloir d’accès en aval de la cascade, une avalanche s’est déclenchée en amont de celle-ci, entraînant les trois participants, non professionnels, dont la victime qui a été partiellement ensevelie.
Tandis que ses compagnons tentaient de la dégager, une seconde avalanche s’est déclenchée et a emporté la victime qui a alors été totalement ensevelie.
Retrouvée et dégagée au bout de trente minutes, grâce à des personnes appelées à l’aide par téléphone par le guide de haute montagne qui avait aussi organisé les recherches, la victime n’a pu être réanimée malgré l’intervention des pisteurs secouristes, des pompiers puis des secouristes du détachement CRS Alpes de Briançon accompagnés d’un médecin.
Aucune plainte n’a été déposée et la procédure a été classée sans suite.
Toutefois, par acte en date du 25 janvier 2012, le mari de la victime ainsi que leurs trois enfants ont assigné le guide de haute montagne et son assureur garantissant sa responsabilité civile, outre la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du VAL D’OISE, devant le Tribunal de Grande Instance de GAP afin de se voir indemniser de l’intégralité de leurs préjudices.
Par jugement en date du 21 octobre 2013, le Tribunal de Grande Instance de GAP les a déboutés de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre du guide de haute montagne et de son assureur.
Le 12 décembre 2013, le mari de la victime et leurs trois enfants ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs conclusions, ils demandent à la Cour d’Appel de GRENOBLE de bien vouloir condamner le guide de haute montagne et l’assureur de ce dernier à les indemniser de l’intégralité de leurs préjudices sur le fondement des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, sièges de la responsabilité civile délictuelle.
Pour ce faire, ils font valoir que le guide de haute montagne a commis une faute d’imprudence en conduisant les participants vers la cascade « VERMICELLE » dès lors que de forts risques d’avalanche avaient été publiés, pour la journée du 5 février 2010, par le BRA, pour tous les massifs de la zone, sans distinction entre altitude basse et altitude haute.
Par ailleurs, le guide de haute montagne ne s’était pas assuré que les membres de son groupe étaient équipés d’un Appareil de Recherche des Victimes d’Avalanche (ARVA) alors que le club dont ils faisaient partie en possédait un nombre suffisant. Le guide de haute montagne a donc manqué de discernement dans la mesure où les conditions de nivologie étaient défavorables.
Pour écarter toute responsabilité de sa part, le guide de haute montagne faisait quant à lui valoir que le site de CEILLAC, en général, est réputé non dangereux au regard des avalanches et qu’il s’est attaché plus particulièrement aux indications figurant dans le « Topoguide », signalant les cascades de ce site comme étant à l’abri des avalanches, à l’exception de l’« ARLESIENNE », située plus à droite.
De plus, selon lui, il pouvait légitimement penser que, malgré un risque d’avalanche général de 3 sur une échelle de 1 à 5, il pouvait sans difficulté mener son groupe sur ce site où aucun signe ne permettait de détecter un risque anormal.
Enfin, il faisait valoir que le port d’ARVA n’est, en aucun cas, obligatoire, qu’il est rarissime pour l’escalade de cascades de glace et, qu’au surplus, il ne serait pas démontré qu’il aurait empêché le dommage, en l’absence de toute indication sur la cause précise du décès.
Or, par arrêt en date du 6 février 2018 (Cour d’Appel de GRENOBLE, Chambre Civile 2, 6 février 2018, RG n°13/05313), la Cour d’Appel de GRENOBLE a infirmé le jugement rendu en première instance par le Tribunal de Grande Instance de GAP et condamné solidairement le guide de haute montagne ainsi que son assureur à indemniser le mari de la victime et leurs trois enfants.
Comme le rappelle la Cour d’Appel de GRENOBLE, le guide de haute montagne devait, le jour de l’accident, mettre en œuvre les moyens suffisants pour assurer la sécurité des membres du groupe dont il avait la charge ; s’il a manqué à cette obligation, ce manquement peut fonder l’action délictuelle des proches de la victime s’il a directement contribué au décès de cette dernière.
En l’espèce, la Cour d’Appel de GRENOBLE relève que si le site des cascades de glace de CEILLAC est, dans sa globalité, réputé comme peu dangereux au regard des risques d’avalanche, la cascade « VERMICELLE » était, quant à elle, classée comme couloir d’avalanche sur la carte de localisation des phénomènes d’avalanche.
Par ailleurs, le jour de l’accident, le risque d’avalanche sur les massifs de la région était classé au niveau 3 « marqué », évoluant niveau 4 « fort » en cours de journée sur une échelle de 1 à 5 et ce, en raison des conditions atmosphériques de nivologie et de chutes de neige prévues.
Ensuite, aucun des membres du groupe n’était porteur d’un ARVA alors que le club organisant le séjour en possédait suffisamment pour que chaque participant puisse en être équipé.
En outre, le guide de haute montagne ne portait pas de pelle ni de sonde et les recherches immédiates ont dû avoir lieu à la main et au piolet, la victime n’ayant pu être localisée et dégagée que 30 minutes après son ensevelissement et ce, grâce à la sonde d’une personne arrivée en renfort.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’Appel de GRENOBLE considère que le guide de haute montagne n’a pas mis tous les moyens en œuvre pour assurer la sécurité de son groupe.
La Cour d’Appel de GRENOBLE ajoute que le guide de haute montagne ne saurait s’exonérer en invoquant le fait que le « Topoguide » ne mentionnait pas la cascade « VERMICELLE » comme dangereuse au regard des risques d’avalanches et de ce que le port d’ARVA n’est pas une pratique courante pour l’escalade de cascades de glace.
En tant que professionnel, il était tenu d’analyser concrètement la situation dans tous ses aspects, sans se limiter aux pratiques habituelles et aux indications du « Topoguide » de portée générale, comme destiné au grand public.
Enfin, la Cour d’Appel GRENOBLE relève que le décès de la victime est bien la conséquence directe des fautes commises par le guide de haute montagne.
Par conséquent, ce dernier et son assureur sont condamnés solidairement à réparer intégralement les préjudices subis par les proches de la victime à la suite de son décès.