Condamnation du concepteur d’une machine agricole et de sa société pour blessures involontaires
En décembre 2004, une machine agricole, conçue et fabriquée par une société spécialisée, a été vendue, puis installée sur l’exploitation d’un Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC).
Le 7 août 2011, alors que l’exploitante agricole se rendait à la bergerie pour donner le biberon à un agneau avec sa fille, âgée de deux ans au moment des faits, cette dernière a introduit son bras dans un espace situé sur la partie inférieure de la machine qui était alors en fonctionnement de sorte que son bras a été happé vers le tambour et sectionné par celui-ci.
Il ressort de l’enquête menée par la Gendarmerie et des investigations réalisées au cours de l’instruction que l’accident s’est produit alors que la fillette se trouvait à proximité de sa mère, lorsque celle-ci a mis en marche le tapis roulant servant à distribuer le foin aux moutons.
Cet espace latéral, dans lequel la fille a introduit son bras, résultait de l’usage normal de la mangeoire mécanisée.
Cependant, cet espace latéral n’était protégé par aucun dispositif de sécurité prévu lors de la conception de la machine
Par ailleurs, la conception de la machine avait été modifiée, au cours de l’année 2007, au niveau des têtes d’alimentation pour faire disparaître cet espace latéral.
Néanmoins, les modèles commercialisés avant l’année 2007 n’avaient pas bénéficié de cette amélioration.
En outre, aucune notice n’avait été remise aux exploitants agricoles lors de l’installation de la machine et jusqu’à l’accident.
C’est dans ce contexte que la société spécialisée et son gérant ayant conçu et vendu le matériel litigieux ont été poursuivis pénalement.
Par arrêt en date du 7 novembre 2016, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE les a déclarés coupables de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité et les a respectivement condamnés à des peines de 20.000 euros et 10.000 euros d’amende avec sursis, outre leur condamnation à indemniser la fillette et ses proches.
La société et son gérant se sont toutefois pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
Or, par arrêt en date du 27 février 2018 (Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 février 2018, Pourvoi n° 16-87147), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi et confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE.
Comme le rappelle la Cour de cassation, la mangeoire mécanisée, conçue et vendue par la société spécialisée, constitue un équipement de travail, tel que défini par l’article R.4311-4-1 du Code du Travail.
En application de l’article L.4312-1 du même code, cette machine était soumise aux règles techniques de conception, prévues par l’annexe I du décret n° 92-767 du 29 juillet 1992, outre la Directive 98137 du Parlement Européen et du Conseil en date du 22 juin 1998.
Il ressort des textes précités que les machines doivent, par construction, être aptes à assurer leur fonction, à être réglées, entretenues sans que les personnes ne soient exposées à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par la notice d’instructions ; que les mesures prises visent à supprimer les risques pour la sécurité ou la santé durant la durée d’existence prévisible de la machine, y compris les phases de montage et de démontage, même dans le cas où les risques d’accidents résultent de situations anormales prévisibles.
La Cour de cassation poursuit en rappelant que les éléments mobiles de la machine doivent être conçus et construits de manière à éviter les risques de contact qui pourraient entraîner des accidents ou, lorsque les risques subsistent, doivent être munis de protecteurs ou de dispositifs de protection.
Or, en l’espèce, la Chambre criminelle retient qu’il existait bien un risque d’accès aux parties mobiles, situées dans le tambour de tête et qu’aucun dispositif de protection n’avait été installé par le constructeur pour pallier à ce risque alors que celui-ci s’accroissait à chaque intervention sur la tension de la chaîne.
Cette situation aurait dû conduire le constructeur à installer un dispositif de protection.
Par conséquent, la Cour de cassation considère que cet équipement de travail n’était pas conforme aux règles techniques applicables en matière de santé et de sécurité.
En outre, la Chambre criminelle relève que ce n’est qu’après l’accident que la société a équipé les machines, déjà en service, de carters de protection dont elles étaient dépourvues à l’origine.
Dès lors, le gérant de la société, en qualité de concepteur et de constructeur de la machine agricole, ne pouvait qu’avoir connaissance des exigences de sécurité requises en la matière et avoir conscience des risques que générait l’absence de toute protection des parties mobiles potentiellement dangereuses.
En ne mettant pas en place de dispositif de protection, il a donc commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, prévue par la loi ou le règlement.
Cette faute est bien la cause de l’accident dont a été victime la fillette puisqu’il ne se serait pas produit si l’espace dans lequel elle a introduit son bras avait été protégé par un carter.
Par ailleurs, pour échapper à toute condamnation, la société et son gérant tentaient de soutenir que cet accident présentait, pour eux, un caractère imprévisible dès lors que la fillette n’aurait pas dû se trouver à proximité du matériel agricole.
La Cour de cassation écarte cet argument.
Comme elle le rappelle, les dispositifs de protection réglementaires comme l’impossibilité d’accéder à des parties mobiles dangereuses ont pour but de prévenir tout accident, non seulement pour l’utilisateur de la machine mais également pour tous ceux qui sont susceptibles de se trouver à proximité.
Au surplus, la présence d’un enfant à proximité d’une machine agricole n’est en aucun cas imprévisible sur une exploitation agricole familiale où les enfants sont susceptibles d’accompagner leurs parents lors de l’exécution des tâches quotidiennes.
Par conséquent, la condamnation pour blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité à l’encontre de la société et du gérant son confirmées par la Cour de cassation ainsi que les peines d’amende avec sursis.