Transsexualisme : condamnation de la France pour violation du droit au respect de la vie privée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme
Trois personnes transgenres, inscrites à leur naissance sur les registres d’état civil comme étant de sexe masculin mais ayant toujours eu conscience d’appartenir au genre féminin, ont saisi les juridictions françaises compétentes afin de solliciter la rectification de la mention de leur sexe sur leur acte de naissance après avoir entamé les traitements nécessaires à leur transformation.
Dans les trois cas, leurs demandes ont été rejetées par les juridictions du fond puis par la Cour de cassation aux motifs que les demandeurs n’apportaient pas la preuve, d’une part du syndrome transsexuel dont ils étaient atteints et, d’autre part du caractère irréversible de la transformation de leur apparence.
Estimant qu’un manquement à l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales aurait été commis par la France, les demandeurs ont alors saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
L’article 8 précité dispose en effet que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Cet article consacre donc le droit, pour toute personne, au respect de sa vie privée.
Selon les requérants, subordonner la rectification de la mention de leur sexe sur leur acte de naissance à la preuve de la réalité du syndrome transsexuel reviendrait à les assimiler à des malades mentaux et à porter atteinte à leur dignité. Au surplus, cela renforcerait la stigmatisation dont ils sont victimes.
Par ailleurs, conditionner la reconnaissance légale de leur identité sexuelle réelle à la preuve préalable du caractère irréversible de la transformation de leur apparence reviendrait à leur imposer de subir une opération ou un traitement médical impliquant une stérilité irréversible qui serait contraire à l’article 8 précité.
Dans sa décision A.P., GARCON et NICOT c/ France, en date du 6 avril 2017 (Cour Européenne des Droits de l’Homme, 5ème Section, 6 avril 2017, Affaire A.P., GARCON et NICOT c/ France, Requêtes n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13), la Cour Européenne des Droits de l’Homme a partiellement fait droit à l’argumentation développée par les requérants et condamné la France pour violation du droit au respect de la vie privé sur le fondement de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegard des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
Selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il n’est pas contraire à l’article 8 précité de subordonner la rectification de la mention du sexe d’une personne sur les registres d’état civil à la preuve préalable du syndrome transsexuel dont est atteint cette personne.
En effet, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cette règle tend à faire en sorte que le demandeur ne s’engage pas de façon erronée dans un processus de changement légal de son identité sans être sur, au préalable, qu’il est bien atteint du syndrome transsexuel.
De plus, cette condition ne porte pas atteinte à l’intégrité physique des individus.
En revanche, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la France a commis un manquement au droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, en exigeant le respect de la seconde condition.
En effet, exiger la preuve préalable de l’irréversibilité de la transformation de leur apparence avant de faire droit à leur demande de rectification de la mention de leur sexe sur les registres d’état civil place les requérants devant un dilemme insoluble.
Ces derniers peuvent :
- soit subir malgré eux une opération ou un traitement stérilisant ou produisant très probablement un effet de cette nature, et renoncer au plein exercice de leur droit au respect de leur intégrité physique qui relève notamment du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention, afin d’obtenir la rectification de la mention de leur sexe sur les registres d’état civil ;
- soit refuser les opérations et traitements stérilisants et renoncer, ce de fait, à la reconnaissance de leur identité sexuelle et donc au plein exercice de leur droit au respect de leur vie privée.
Selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ce dilemme constitue une rupture du juste équilibre que les États partis sont tenus de maintenir entre l’intérêt général et les intérêts des personnes privées.
Par conséquent, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour violation du droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 précité.
Il convient toutefois de noter que cette condamnation de la France n’aura qu’une faible portée juridique.
En effet, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a d’ores et déjà modifié les règles relatives aux modalités de changement d’état civil des personnes transsexuelles en France.
L’article 61-5 du Code civil prévoit désormais que le refus de faire droit à la demande ne peut être motivé par le fait de ne pas avoir subi de traitement médical, d’opération chirurgicale ou de traitement stérilisant.
Avant même sa condamnation, la France avait donc mis son droit interne en conformité par rapport aux dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.