Chutes et responsabilité du fait des choses

Chutes et responsabilité du fait des choses
Publié le 5/05/17

L’article 1242 alinéa 1er du Code civil (Ancien article 1384 alinéa 1er) dispose que :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Pendant de très nombreuses décennies, cet alinéa était dépourvu de toute valeur juridique particulière et était surtout conçu comme un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel, organisée aux articles 1240 et 1241 du Code civil (Anciens articles 1382 et 1383), et les cas spéciaux de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses.

En effet, en 1804, lors de l’instauration du Code civil, les cas de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses étaient très limités. 

Ce n’est qu’à la suite de l’accroissement du nombre d’accidents liés à la Révolution Industrielle française puis au développement de la circulation automobile, que la Cour de cassation a été contrainte d’ériger, au fil de sa jurisprudence et sur la base de ce seul alinéa, un régime général de la responsabilité du fait des choses.

Le régime général de la responsabilité du fait des choses est donc une création purement prétorienne.

Ce régime s’applique désormais dans un très grand nombre d’hypothèses et notamment en cas de chute d’une personne, à l’origine de préjudices.

Il importe peu que cette chute intervienne au domicile d’un tiers, dans un centre commercial, sur un parking privé ou même dans les parties communes d’un immeuble.

Dès lors que les conditions définies par la Cour de cassation sont respectées, la victime d’une chute peut obtenir la réparation de l’ensemble de ses préjudices.

Les conditions d’indemnisation de la responsabilité du fait des choses :

En application du régime de la responsabilité du fait des choses, mis en place par la Cour de cassation, quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’une victime puisse être indemnisée de ses préjudices, à savoir :

  • Un fait de la chose ;
  • Un gardien de la chose ;
  • Un dommage ;
  • Un lien de causalité entre le fait de la chose et le dommage ;

Si les conditions liées au lien de causalité et au dommage n’appellent pas de remarque particulière, la Cour de cassation a, en revanche, au fil de ses décisions, apporté des précisions importantes relatives à la garde de la chose et au fait de cette chose.

Ces conditions sont régulièrement rappelées par les juridictions du fond.

La garde de la chose :

S’agissant de la notion de garde, il est classiquement admis en jurisprudence que le propriétaire d’une chose en est présumé être le gardien.

Cependant, ce propriétaire a la possibilité de renverser cette présomption et de rapporter la preuve qu’il n’était pas gardien de la chose au moment du dommage.

En effet, depuis un arrêt de principe en date du 2 décembre 1941 (Cour de cassation, Chambres Réunies, 2 décembre 1941, Arrêt Franck), la Cour de cassation fait prévaloir la notion de garde matérielle.

Dans l’arrêt précité, une voiture, prêtée par un médecin à son fils, avait été volée et avait causé un accident. Les héritiers de la victime avaient alors intenté une action en responsabilité à l’encontre du propriétaire de la voiture.

Cependant, dans son arrêt en date du 2 décembre 1941, la Cour de cassation considère que, dès lors qu’un propriétaire n’exerce plus les pouvoirs que sont l’usage, le contrôle et la direction sur la chose, il n’en a plus la garde.

En définissant la garde de la chose comme la rencontre des pouvoir d’usage (se servir de la chose), de contrôle (être en position d’éviter les dysfonctionnements de la chose) et de direction (décider de la finalité de l’emploi de la chose), la Cour de cassation fait donc prévaloir la théorie de la garde matérielle ou effective de la chose sur celle de la garde juridique.

Seul celui qui exerçait effectivement les pouvoirs sur la chose au moment de l’accident sera responsable.

Par ailleurs, la Cour de cassation considère que la qualité de gardien est totalement indépendante de la faculté de discernement.

En effet, depuis un arrêt en date du 1er mars 1967 (Cour de cassation, Civile 2ème, 1er mars 1967), la Cour de cassation considère qu’une personne dépourvue de discernement peut parfaitement avoir la qualité de gardien de la chose.

Il en va de même pour les enfants (Cour de cassation, Assemblée Plénière, 9 mai 1984, Pourvoi n°80-14994, Arrêt Gabillet) ; un enfant, même en bas âge, peut parfaitement avoir la qualité de gardien.

Cette solution s’explique principalement par le fait que les particuliers sont assurés au titre de leur responsabilité civile.

A défaut d’une telle solution, une personne grièvement blessée pourrait ne pas être indemnisée dans la mesure où il serait rapporté la preuve que le gardien de la chose était dépourvu de discernement au moment de l’accident, ce qui pourrait alors laisser la victime dans une situation financière précaire.

La Cour de cassation s’efforce donc, dans la très grande majorité des cas, de trouver un responsable et donc un débiteur pouvant indemniser la victime.

Le fait de la chose :

La Cour de cassation rappelle régulièrement que, pour ouvrir droit à indemnisation au profit de la victime, la chose doit avoir été l’instrument du dommage.

Pour déterminer si une chose a, ou non, été l’instrument du dommage, la Cour de cassation opère une distinction entre les choses inertes et les choses en mouvement.

S’agissant des choses inertes, il est classiquement admis en jurisprudence qu’il appartient à la victime de rapporter la preuve que la chose à eu un rôle actif dans son accident.

Pour ce faire, la victime doit démontrer que la chose présentait une anormalité quant à son état, son positionnement ou son fonctionnement.

Cette jurisprudence est particulièrement bien illustrée en matière de chutes.

Ainsi, à titres d’exemples, l’anormalité de la chose et la responsabilité du gardien ont été récemment retenues, en cas de :

  • Chute d’un client dans un supermarché, imputable à un sol détrempé par la pluie et particulièrement glissant, en l’absence de mise en place, par les responsables du magasin, d’un dispositif de sécurité pour prévenir les risques de chutes et attirer l’attention de la clientèle (Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, 10ème Chambre, 19janvier 2017, RG n°15/18272) ;
  • Chute d’un client sur le parking d’un supermarché imputable à la présence d’une borne en plastique peu visible (Cour d’Appel de DIJON, 1ère Chambre civile, 10 janvier 2017, RG n°13/02382) ;
  • Chute d’un client d’un supermarché imputable à la présence d’une feuille de salade et du caractère anormalement sale et dangereux du sol du magasin (Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, 10ème Chambre, 5 janvier 2017, RG n°15/06903) ;
  • Chute dans les parties communes d’un immeuble d’un copropriétaire en raison du décalage entre le niveau du plancher de l’ascenseur et le niveau du sol du palier (Cour d’Appel de DOUAI, 3ème Chambre, 23 mars 2017, RG n°16/00199).

En revanche, s’agissant des choses en mouvement, la Cour de cassation considère de façon assez classique que, dès lors qu’il y a eu contact entre cette chose et la victime, le rôle actif de la chose doit être présumé.

En effet, dans cette hypothèse, il est vraisemblable que la chose en mouvement soit à l’origine du dommage.

Cette solution a été récemment rappelé dans un arrêt de la Cour d’Appel d’ANGERS en date du 28 février 2017 (Cour d’Appel d’ANGERS, Chambre Civile A, 28 février 2017, RG n°14/02505).

En l’espèce, le 1er mars 2011, une personne a été victime d’un accident alors qu’elle sortait d’un supermarché.

Les portes automatiques du surpermaché s’étant refermées sur son poignet droit en le cassant, la cliente du magasin a basculé en arrière et a chuté.

Ayant recherché la responsabilité du surpermarché et de son assureur « responsabilité civile », la Cour d’Appel d’ANGERS a, dans son arrêt en date du 28 février 2017, considéré que « les portes automatiques, choses dotées d’un dynamisme propre » s’étaient effectivement refermées sur le poignet de la victime et avaient donc été « l’instrument du dommage ».

Dès lors, le supermaché et son assureur ont été condamnés, en application de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil (désormais 1242 du Code civil), a indemniser la victime de l’ensemble de ses préjudices.

La faute de la victime :

Pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité, le gardien de la chose peut tenter d’opposer à la victime sa propre faute.

En effet, comme le rappelle la Cour d’Appel de DIJON dans son arrêt en date du 10 janvier 2017 (Cour d’Appel de DIJON, 1ère Chambre civile, 10 janvier 2017, RG n°13/02382) :

« il est admis que le gardien de la chose à l’origine de l’accident est partiellement exonéré de sa responsabilité s’il prouve que la faute de la victime a contribué au dommage ; qu’il en est totalement exonéré lorsque cette faute a constitué la cause exclusive du dommage ». 

Cependant, pour qu’elle puisse être totalement exonératoire de responsabilité pour le gardien de la chose, la faute de la victime doit présenter les caractéristiques de la force majeure, c’est-à-dire être extérieure, imprévisible et irrésistible.

A défaut de force majeure, la faute de la victime ne pourra qu’être partiellement exonératoire de responsabilité pour le gardien de la chose.

En l’espèce, dans l’arrêt précité, le client d’un hypermarché a été victime, le 23 décembre 2011, d’une chute alors qu’il traversait à pied le parking du magasin où il se rendait avec son épouse pour faire ses courses.

Après avoir trébuché sur une borne en plastique peu visible, il a chuté et est décédé, le lendemain, au sein du Centre Hospitalier de CHALON SUR SAONE.

Ses ayants droit ont alors saisi le Tribunal de Grande Instance de CHALON SUR SAONE, aux fins de voir reconnaître la responsabilité de la société exploitant le magasin.

Par jugement en date du 24 septembre 2013, le Tribunal a déclaré la société mise en cause entièrement responsable de l’accident dont a été victime son client dans la mesure où la borne à l’origine de l’accident était peu visible et présentait donc un positionnement anormal.

Le Tribunal a par ailleurs considéré qu’aucune faute ne pouvait être rentenue à l’encontre de la victime, susceptible d’exonérer ou de réduire la responsabilité de la société exploitante.

Par déclaration en date du 27 décembre 2013, cette dernière à interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de CHALON SUR SAONE.

Or, dans son arrêt en date du 10 janvier 2017, la Cour d’Appel de DIJON a confirmé la décision rendue en première instance.

En effet, s’agissant de la prétendue faute commise par la victime, la Cour d’Appel rappelle qu’il n’existait aucun cheminement sécurisé sur l’ensemble du parking, à l’attention des piétons.

Par ailleurs, elle précise que les clients n’avaient pas d’autre choix que de franchir les bornes en plastique à l’origine de l’accident pour accéder aux passages piétons, situés le long du magasin.

Par conséquent, la Cour d’Appel de DIJON considère qu’aucune faute n’a été commise par la victime au moment de son accident.

Dès lors, la société exploitante sera tenue d’indemniser intégralement les préjudices subis par les ayants droit de la victime.

Force est donc de constater que la question de l’éventuelle faute commise par la victime relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Dans la très grande majorité des cas, seule une négligence caractérisée ou une erreur d’inattention spécifique de la victime pourra donner lieu à une exonération partielle de responsabilité du gardien de la chose.

Ces solutions s’expliquent, une nouvelle fois, par les contrats d’assurance responsabilité civile souscrits, tant par les professionnels que par les particuliers. 

Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.

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