Manquement à l’obligation d’information et préjudice d’impréparation
Dans un arrêt en date du 16 juin 2016 (Conseil d’Etat, 5ème et 4ème Chambres Réunies, 16 juin 2016, N°382479), le Conseil d’Etat est venu consolider sa jurisprudence relative au préjudice d’impréparation consécutif à un manquement à l’obligation d’information.
En l’espèce, un patient a subi, le 4 décembre 2008, au sein de l’Hôtel-Dieu de Lyon, une coloscopie avec mucosectomie rendue nécessaire par la découverte d’un polype du colon transverse avec dysplasie sévère.
Au cours de l’intervention chirurgicale, une perforation colique a nécessité une colostomie transverse.
N’ayant pas été informé de ce risque de perforation colique avant l’intervention, le patient a saisi les juridictions administratives afin d’être indemnisé de l’ensemble de ses préjudices.
Sur l’obligation d’information à la charge des professionnels de santé
L’article 16-3 du Code civil dispose que :
« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».
En application de cet article ainsi que de l’article L.1111-4 du Code de la Santé Publique, le malade doit consentir au traitement qui lui est proposé.
Il s’agit d’un droit pour lui et d’une obligation pour le professionnel de santé.
En effet, prescrire et appliquer un traitement, sans l’accord préalable du patient, constitue une faute.
Or, ce consentement du patient n’a de sens que s’il est éclairé, c’est-à-dire précédé d’une information précise, loyale et appropriée sur les soins envisagés, les risques encourus, l’existence ou l’absence de solutions altenatives ainsi que les avantages et les inconvénients comparés.
C’est la raison pour laquelle l’article L.1111-2 du Code de la Santé Publique met à la charge des professionnels de santé une obligation d’information dans les termes suivants :
« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu’elle relève de soins palliatifs au sens de l’article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l’une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.
Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel… ».
Cette obligation d’information porte sur tous les risques inhérents à l’acte de soin envisagé.
Il s’agit aussi bien des risques fréquents que des risques graves.
Or, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé de rapporter la preuve que l’information a bien été délivrée, dans son intégralité au patient.
L’article L.1111-2 du Code de la Santé Publique dispose, en ce sens, que :
« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ».
Sur la consécration du préjudice d’impréparation
Dans l’arrêt commenté, le patient reprochait à l’Hôtel-Dieu de LYON ne de pas l’avoir informé, préalablement à son intervention chirurgicale, du risque de perforation colique.
Considérant que le manquement à l’obligation d’information était caractérisé en l’espèce, les juridictions administratives ont toutefois rappelé que ce manquement n’était pas à l’origine d’une perte de chance de refuser l’intervention pour le patient.
En effet, même parfaitement informé sur l’ensemble des risques inhérents à l’intervention, y compris le risque de perforation colique, le patient n’aurait pas pu, en tout état de cause, se soustraire à cette opération dans la mesure où celle-ci était « impérieusement requise en présence d’une affection cancéreuse ».
Aussi, dès lors que l’intervention chirurgicale, au cours de laquelle le risque s’est réalisé, était nécessaire pour le patient, il n’existe aucune perte de chance indemnisable pour lui.
Néanmoins, comme le rappelle le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 16 juin 2016, l’absence d’indemnisation au titre de la perte de chance n’exclut pas, en revanche, une indemnisation au titre du préjudice d’impréparation.
« qu’indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a subis du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité ».
En effet, s’il n’était pas en mesure de refuser l’intervention chirurgicale, le patient a, cependant, été placé dans l’impossibilité de se préparer au risque qui s’est réalisé en raison du manquement à l’obligation d’information des professionnels de santé.
Les médecins auraient dû préciser, avant l’intervention, que la coloscopie avec mucosectomie impliquait un risque de perforation colique afin que le patient puisse anticiper et se préparer à la réalisation de ce risque, notamment en prenant des dispositions personnelles.
N’ayant pas informé le patient de l’ensemble des risques, les professionnels de santé sont à l’origine, pour le patient, d’un préjudice d’impréparation.
Or, le principe de l’indemnisation de ce préjudice d’impréparation est consacré depuis le 3 juin 2010 par les juridictions judiciaires (Cour de cassation, Civile 1ère, 3 juin 2010, Pourvoi n°09-13591) et depuis les 24 septembre et 10 octobre 2012 par les juridictions administratives (Conseil d’Etat, 5ème et 4ème sous-sections réunies, N°336223 ; Conseil d’Etat, 5ème et 4ème sous-sections réunies, N°350426).
Sur le recours à la présomption de souffrance morale
Néanmoins, pour que ce préjudice d’impréparation ouvre droit à une indemnisation effective, il appartient au patient de rapporter la preuve de la réalité et de l’ampleur de son préjudice.
Cette preuve peut être rapportée par tous moyens.
En revanche, et c’est là l’apport de l’arrêt du 16 juin 2016, le Conseil d’Etat précise que « s’il appartient au patient d’établir la réalité et l’ampleur des préjudices qui résultent du fait qu’il n’a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l’éventualité d’un accident, la souffrance morale qu’il a endurée lorsqu’il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l’intervention doit, quant à elle, être présumée ».
Par conséquent, en cas de préjudice d’impréparation, la souffrance morale du patient sera présumée.
Dès lors, cette présomption facilitera la reconnaissance des droits du patient et l’indemnisation de son préjudice.
Cet article a été rédigé par Me Geoffrey Tondu, avocat à Bourges.