Médiator
La connaissance, par le fabriquant, des risques associés à la prise d’un médicament ne constitue pas une condition de la responsabilité du fait des produits défectueux
Une patiente, née en 1951, s’est vue prescrire du Médiator, de 1998 à 2008.
Ayant développé une double valvulopathie aortique et mitrale, elle a décidé, au mois de septembre 2011, de saisir l’Office Nationale d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM).
Sa demande indemnitaire était dirigée, d’une part à l’encontre de l’Agence Francaise de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), devenue depuis, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM) et, d’autre part à l’encontre du producteur du Médiator, les Laboratoires Servier.
L’ONIAM a procédé à la désignation d’un collège d’experts, lequel a conclu que la pathologie présentée par la patiente était bien liée à la prise du Médiator.
Au regard de ce rapport, le laboratoire a alors fait une offre amiable d’indemnisation à la patiente d’un montant de 5 000 euros.
Estimant cette offre indemnitaire insuffisante, la patiente a décidé de saisir le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE afin, d’une part de voir désigner un Expert Judiciaire et, d’autre part de se voir octroyer une indemnité provisionnelle (somme provisoire allouée à une partie avant qu’un jugement définitif ne soit rendu sur la responsabilité et l’évaluation de ses préjudices).
Le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a fait droit à la demande d’expertise judiciaire.
Aux termes de son rapport définitif, l’Expert Judiciaire a conclu que les préjudices de la patiente étaiennt bien imputables à la prise du Médiator de 1998 à 2008.
Sur la base de ce rapport, la Cour d’Appel de VERSAILLES a alors alloué à la patiente la somme de 10 000 euros à titre de provision sur les frais de procédure et la somme de 50 000 euros à titre de provision sur l’indemnisation définitive de ses préjudices.
Le laboratoire s’est pourvu en cassation à l’encontre de cet arrêt.
La valvulopathie de la patiente est bien imputable, selon la Cour de Cassation, à la prise du Médiator de 1998 à 2008
Aux termes de son pourvoi en cassation, le laboratoire ne contestait pas l’organisation de la mesure d’expertise judiciaire obtenue par la patiente.
En revanche, le laboratoire tentait de remettre en cause l’allocation de la somme provisionnelle de 60 000 euros, à valoir sur l’indemnisation définitive des préjudices de la patiente.
Pour ce faire, le laboratoire soutenait qu’il existait un doute sur le lien de causalité entre la prise du Médiator et l’apparition de la pathologie de la patiente.
En effet, pour qu’une provision puisse être allouée, la patiente devait démontrer que son droit à indemnisation « n’était pas sérieusement contestable » au sens de l’article 809 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Or, le laboratoire insistait sur le fait, qu’avant même la prise du Médiator, la patiente présentait un état antérieur, à savoir une insuffisance mitrale pouvant expliquer sa pathologie actuelle.
Par ailleurs, la patiente présentait également des facteurs de risques cardiovasculaires (hypertension artérielle, cardiomyopathie, diabète de type II, dyslipidémie, surpoids et extrasystoles auriculaires).
Enfin, le laboratoire soulignait le fait qu’avant de prendre du Médiator, la patiente s’était vue prescrire deux autres médicaments, retirés du marché, à savoir l’Isoméride et le Tenuate Dospan.
Dès lors, selon le producteur du médicament, il existait un doute sur l’imputabilité au Médiator de la valvulopathie aortique et mitrale présentée par la patiente.
Cette valvulopathie pouvait en effet s’expliquer par d’autres raisons que la prise du Médiator.
Par conséquent, la patiente n’aurait pas du, selon les Laboratoires Servier, se voir allouer la somme provisionnelle de 60 000 euros par la Cour d’Appel de VERSAILLES.
Cependant, dans son arrêt en date du 25 février 2016 (Cour de cassation, Civile 1ère, 25 février 2016, Pourvoi n°15-11257), la Cour de cassation vient de confirmer, qu’en l’espèce, la valvulopathie aortique et mitrale, développée par la patiente, était bien imputable de façon directe et certaine à la prise du Médiator de 1998 à 2008 (dans la limite de 80% de ses préjudices).
Pour justifier cette imputabilité certaine au Médiator, la Cour de cassation insiste sur le fait que, tant le collège d’experts désignés par l’ONIAM que l’Expert Judiciaire désigné par le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE, ont retenu le lien de causalité entre la valvulopathie de la patiente et la prise du médicament produit par les Laboratoires Servier.
Par conséquent, selon la Cour de cassation, la valvulopathie présentée par la patiente était bien imputable à l’utilisation de Médiator.
La connaissance par les Laboratoires Servier des risques associés à la prise du Médiator par les patients ne constitue pas une condition de sa responsabilité du fait des produits défectueux
Selon le laboratoire, l’octroi à la patiente d’une indemnité provisionnelle de 60 000 euros se heurtait à une autre contestation sérieuse.
En effet, en l’état des connaissances scientifiques, il n’était pas possible, selon le producteur du médicament, de connaître avant 2009, le défaut affectant le Médiator.
Dès lors, en l’absence de connaissance par les Laboratoires Servier de ce défaut, sa responsabilité ne saurait être recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, organisée à l’article 1386-4 du Code Civil (article 1245-3 du Code civil à compter du 1er octobre 2016).
Le producteur ne saurait être tenu d’assumer les conséquences financières liés à l’utilisation du Médiator alors même qu’ils ignoraient le défaut affectant ce médicament.
Or, dans son arrêt en date du 25 février 2016 (Cour de cassation, Civile 1ère, 25 février 2016, Pourvoi n°15-11257), la Cour de cassation rappelle que la connaissance, par le producteur, des risques liés à l’utilisation de son produit, lors de sa mise en circulation ou lors de son utilisation, n’est en aucun cas une condition d’engagement de sa responsabilité sur le fondement des produits défectueux.
En effet, pour qu’un produit soit considéré comme défectueux, il faut que celui-ci ne présente pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, notamment la présentation du produit, l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et le moment de sa mise en circulation.
En revanche, il est parfaitement indifférent que le producteur ait ou non eu connaissance du défaut affectant le produit au moment de sa mise en circulation ou de son utilisation.
Les Laboratoires Servier ont donc essayé d’ajouter une condition qui n’était pas prévue par les dispositions de l’article 1386-4 du Code civil (article 1245-3 du Code civil depuis le 1er octobre 2016).
Par conséquent, dès lors que la connaissance du défaut du produit par le producteur n’est pas une condition nécessaire à l’engagement de sa responsabilité, la patiente pouvait valablement se voir allouer une somme de 60 000 euros à titre provisionnel.
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Toutefois, il convient de rappeler que si la connaissance du défaut du produit par le producteur ne constitue pas une condition nécessaire à l’engagement de sa responsabilité, le « risque développement » peut, en revanche, constituer une cause d’exonération de responsabilité pour le producteur.
En effet, l’article 1386-11 4° du Code civil (article 1245-10 4° du Code civil depuis le 1er octobre 2016) dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve :
« Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut. ».
Le producteur pourra ainsi échapper à sa responsabilité s’il démontre qu’il ne pouvait pas connaître le défaut de son produit, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, lors de la mise en circulation ou de son utilisation.
En l’espèce, les Laboratoires Servier avaient omis de soulever formellement devant la Cour d’Appel de VERSAILLES cette cause d’exonération.
Il existe donc de très fortes chances, à l’avenir, que les Laboratoires Servier soulèvent cette cause d’exonération dans le cadre d’autres procès les opposant à des patients s’étant vus prescrire du Médiator.
Il conviendrait alors de rapporter la preuve que la toxicité des molécules contenues dans le Médiator était connue dès les années 1990 par les Laboratoires Servier.