Dommage imputable à un produit défectueux et preuve par présomption

Au mois de mars 2017, la société MERCK Santé a mis sur le marché une nouvelle formule du LEVOTHYROX, un médicament à marge étroite délivré sur ordonnance médicale pour le traitement de l’hypothyroïdie, dont à la demande de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé), elle a modifié la composition afin d’en améliorer la stabilité, en remplaçant l’un des excipients, le lactose monohydraté, par du mannitol et de l’acide citrique.
De nombreux patients traités au moyen de la nouvelle formule du LEVOTHYROX ayant fait état d’effets indésirables, l’importation de l’ancienne formule, qui ne bénéficiait plus d’une autorisation de mise sur le marché sur le territoire national, a été autorisée à titre transitoire et exceptionnel en 2017 et 2018.
Le 6 juillet 2018, plusieurs patients traités par LEVOTHYROX ont assigné le producteur afin d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices moraux et d’anxiété, outre sa condamnation à leur fournir du LEVOTHYROX ancienne formule.
La société MERCK Santé a appelé l’ANSM en intervention forcée.
Par arrêt en date du 30 mai 2023, rendu sur renvoi après cassation (Cour de cassation, Civile 1ère, 15 juin 2022, Pourvoi n°21-16194), la Cour d’Appel de MONTPELLIER a rejeté les demandes d’indemnisation formulée par les requérants.
Aux termes de son arrêt, la Cour d’Appel de MONTPELLIER précise que si l’existence d’un lien de causalité juridique peut être considéré comme établi au regard des critères dégagés par la jurisprudence à savoir, le délai bref d’apparition entre l’absorption des produits et l’apparition des effets secondaires, la concordance entre l’arrêt des troubles et l’arrêt du traitement, le nombre de personnes concernées, l’absence d’erreur de prescription, l’absence de prédisposition du patient à ce syndrome ou l’absence d’une association avec d’autres médicaments, il doit au préalable être recherché si le lien de causalité est scientifiquement établi avant de déterminer l’existence d’un lien de causalité juridique.
Toujours selon la Cour d’Appel de MONTPELLIER, même si dès la mise sur le marché du LEVOTHYROX nouvelle formule le signalement d’effets indésirables par les utilisateurs a connu une augmentation significative, il n’est pour autant pas scientifiquement rapporté la preuve d’un lien entre le produit et les dommages invoqués.
Les utilisateurs du produit de santé se sont alors pourvus en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son arrêt en date du 14 novembre 2024 (Cour de cassation, Civile 1ère, 14 novembre 2024, Pourvoi n°23-19156), la Cour de cassation a censuré l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de MONTPELLIER et fait droit à l’argumentation des requérants et ce, au visa de l’article 1386-9, devenu 1245-8 du Code civil.
Aux termes de ce texte, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Comme le précise la Cour de cassation, il en résulte que le demandeur doit préalablement établir que le dommage est imputable au produit ; cette preuve peut être rapportée par tout moyen et notamment par des indices graves, précis et concordants.
Or, en exigeant qu’il soit scientifiquement démontré que le dommage était imputable au produit et en écartant la preuve par présomptions, la Cour d’Appel de MONTPELLIER a violé l’article précité.
La preuve du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage subi peut être rapporté par tout moyen, notamment par de simples présomptions.