Indemnisation autonome du préjudice moral lié au retard de communication du dossier médical d’un patient par un Centre Hospitalier
Le 29 septembre 2016, une femme souffrant de démence fronto-temporale, associée à une maladie du motoneurone, a été hospitalisée au sein du Centre Hospitalier Universitaire de CAEN.
Son état de santé s’étant aggravé, celle-ci nécessitait une assistance alimentaire sous la forme d’une alimentation entérale par gastrostomie.
Celle-ci n’a malheureusement été mise en place que plusieurs jours après la demande du neurologue.
Le 3 octobre 2016, après plusieurs épisodes de régurgitations, le personnel hospitalier a décidé de faire passer à la patiente un examen radiographique.
A la suite de cet examen, la patiente a été retrouvée décédée dans sa chambre.
Son époux et ses enfants ont alors saisi le Tribunal Administratif aux fins de voir reconnaître la responsabilité du Centre Hospitalier Universitaire de CAEN.
Le Tribunal n’ayant pas fait droit à leurs demandes, les ayants-droits ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt en date du 5 novembre 2021, la Cour Administrative d’Appel de NANTES, ne relevant aucune faute, a confirmé la décision de première instance.
Les ayants droits de la victime ont donc formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat à l’encontre de cet arrêt.
Aux termes de leur pourvoi, ils soutiennent en premier lieu, que des manquements ont été commis concernant les protocoles de renutrition et de gestion des régurgitations et que cela a contribué au décès de la patiente.
De plus, la prescription excessive de liquide de renutrition, provoquant de fréquentes régurgitations, l’absence d’examen médical avant de déplacer la patiente pour l’examen radiologique ainsi que l’insuffisance de clichés durant cet examen ont entrainé une perte de chance d’éviter un décès prématuré.
En second lieu, les demandeurs reprochent un retard de mise en place d’une assistance nutritionnelle de 19 jours entrainant des troubles dans les conditions d’existence.
En effet, c’est l’époux de la patiente et leur fille qui ont tenté pendant cette période de nourrir et d’hydrater la victime.
Enfin, en troisième lieu, ils reprochent au Centre Hospitalier Universitaire de CAEN un retard de 18 mois pour communiquer certains documents médicaux à la suite de leur demande, notamment la radiographie du jour du décès de la patiente et la feuille de dispensation des médications, cela ayant eu des conséquences sur l’indemnisation de leurs préjudices.
Par arrêt en date du 13 février 2024, (Conseil d’Etat, 5ème et 6ème Chambres Réunies, N°460187) les 5ème et 6ème Chambres réunies du Conseil d’Etat ont prononcé l’admission partielle des conclusions des demandeurs.
En ce qui concerne le non-respect du protocole d’alimentation et de gestion des régurgitations, la Cour Administrative d’Appel avait bien recherché si des manquements avaient pu être commis et donc contribuer au décès de la patiente, ce moyen est donc écarté.
Les Chambres ont également estimé que la Cour Administrative d’Appel n’avait commis aucune erreur en retenant que le décès de la patiente dont les causes restaient non identifiées, avait surement été provoqué par un épuisement de ses capacités physiologiques au stade terminal de sa maladie.
En revanche, concernant le retard de la mise en place de l’assistance nutritionnelle, les Chambres réunies ont considéré que la Cour d’Appel avait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si le délai de mise en place de cette assistance avait été de nature a créer des troubles dans les conditions d’existence.
Enfin, sur le retard de communication de certaines pièces médicales, les Chambres réunies considèrent que selon les articles L. 1111-7 et L 1110-4 du Code de la Santé Publique, dans le cas d’un décès, l’établissement de santé doit communiquer aux ayants-droits, dans un délai raisonnable, les documents nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi, soit la connaissance du décès du patient, la défense de la mémoire du défunt ou la protection de leurs droits.
Les documents demandés pouvant éclairer l’époux et les ayants-droits sur les circonstances du décès de la patiente, le retard dans la communication caractérise une faute entrainant pour les ayants-droits un préjudice moral.
Ainsi, en ne reconnaissant pas ce préjudice autonome et en refusant de rechercher si des circonstances particulières démontraient son absence, la Cour d’Appel a commis une erreur de droit.
Ainsi, les 5ème et 6ème Chambres Réunies du Conseil d’Etat reconnaissent l’indemnisation de deux préjudices autonomes, d’une part le préjudice moral de l’époux de la patiente et de leur fille en raison du retard de communication de pièces médicales et, d’autre part des troubles dans les conditions d’existence en raison du retard de mise en place d’une assistance nutritionnelle.
Article rédigé avec la participation de Madame Léa BUSSEREAU, stagiaire.