La lourdeur d’une procédure pénale caractérisée de traitement inhumain et dégradant par la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Publié le 4/07/23

En Russie une jeune fille a été placée dans un orphelinat après le décès de sa mère en 2018.
En 2019, alors âgée de 12 ans, cette dernière a révélé lors d’une consultation avec un
psychologue qu’elle aurait été victime de plusieurs agressions sexuelles entre 2014 et 2017
par quatre personnes.
Les 16 février, 17 février, 15 juillet et 19 septembre 2019, quatre procédures distinctes
s’ouvrent à leur encontre.
Le droit national russe prévoit un régime adapté pour accompagner « les mineurs victimes de
crimes contre leur intégrité sexuelle » issue de la loi fédérale russe du 28 décembre 2013
comme le droit à une aide juridictionnelle, à l’accompagnement d’un psychologue et d’un
représentant légal ainsi que l’enregistrement vidéo des différentes auditions pour ne pas
aggraver la situation de précarité dans laquelle se trouve la victime.
Ces dispositions issues de la loi fédérale russe s’appuient sur la Convention de Lanzarote pour
la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, ratifiée par la Fédération de
Russie en 2013.
Malgré cela, les quatre procédures engagées contre chacun des prévenus n’ont, à aucun
moment, été jointes.
Par conséquent, la victime a été contrainte de subir de nombreuses auditions, en l’espèce dix-
huit sur douze rendez-vous, tous menés dans des lieux inadaptés à l’écoute d’une victime
mineure et par six agents différents, étant pratiquement tous de sexe masculin.
De plus, la première audition filmée de la victime en date du 16 février 2019, dans laquelle
elle détaillait les faits, et qui aurait pu être réutilisée pour éviter d’imposer d’autres auditions à
cette-dernière, a été perdue en raison d’un dysfonctionnement technique.
Par ailleurs, les autorités n’ont jamais informé la victime de cette perte.
La requérante a dû, lors de chaque audition, revenir sur les faits, cela dégradant de plus en
plus sa santé mentale.
Par ailleurs, lors de la seconde séance d’identification de suspect, la requérante a, par erreur,
été conduite dans la même salle que les potentiels prévenus.
Ces-derniers n’ont alors pas hésité à l’intimider.
Par la suite, plusieurs séances de confrontation ont eu lieu lors desquelles la victime mineure
n’était accompagnée que d’officiers de sexe masculin et pendant lesquelles cette-dernière a dû
solliciter plusieurs pauses et des fins anticipées pour des raisons psychologiques.

La santé mentale de la requérante, déjà touchée par les faits, le décès de sa mère et son
placement en orphelinat, s’est alors dégradée de manière importante en raison de la procédure
à laquelle elle a dû faire face pendant plusieurs années.
Dès le 12 mai 2020, la requérante est passée d’une phase de dépression modérée à de
multiples tentatives de suicide et d’automutilation nécessitant un placement en hôpital
psychiatrique en décembre 2021.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la requérante a saisi la Cour Européenne des Droits de
l’Homme sur le fondement d’une violation de l’article 3 de ladite Convention protégeant le
droit à la vie.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a, par décision en date du 7 février 2023
(CEDH, 7 février 2023, B c. Russie, n°36328/20), reconnu que, du fait de la situation
psychologique de la requérante et des conséquences nocives d’une lourdeur procédurale
inutile sur celle-ci, le seuil de gravité exigé pour engager la responsabilité de la Fédération de
la Russie était atteint.
Par conséquent, la Cour a reconnu que le poids de la procédure infligée à la victime mineure
pouvait être assimilé à un traitement inhumain et dégradant.
La Cour rappelle également que pour une telle procédure, il est absolument nécessaire
d’enregistrer les auditions, de les sauvegarder avec beaucoup de précaution, d’accompagner la
victime avec du personnel compétent et du même sexe, dans des endroits adaptés, de ne pas
aggraver les traumatismes, de ne pas multiplier les contacts superflus avec les prévenus et de
prendre en compte les expertises psychologiques et psychiatriques.

Article rédigé avec la participation de Madame Léa BUSSEREAU, stagiaire

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