Absence de sanction disciplinaire contre le professionnel de santé qui signale de bonne foi des faits laissant présumer qu’un mineur a subi des violences
Le 7 novembre 2017, un médecin spécialisé en psychiatrie et exerçant dans un Centre Médico-Psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) a adressé un courrier de signalement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP) des Côtes-d’Armor, afin de l’alerter sur le comportement d’une mère à l’égard de sa fille, âgée de 9 ans et prise en charge par le CMPEA à la suite d’une première information préoccupante adressée à la CRIP en juin 2017.
A la suite de ce signalement, la mère a porté plainte contre le psychiatre devant la Chambre Disciplinaire de Première Instance de Bretagne de l’Ordre des Médecins.
Le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins des Côtes-d’Armor a transmis sa plainte sans s’y associer.
Par une décision du 30 avril 2019, la Chambre Disciplinaire de Première Instance de Bretagne de l’Ordre des Médecins a rejeté la plainte de la mère et l’a condamnée à verser une amende de 1.000 euros pour recours abusif.
Par une décision du 20 octobre 2020, la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins a, sur appel de la mère, annulé la décision de première instance en tant qu’elle l’avait condamnée à une amende pour recours abusif mais rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
La mère a alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.
Toutefois, par arrêt en date du 5 juillet 2022 (Conseil d’Etat, 4ème et 1ère Chambres Réunies, 5 juillet 2022, N°448015), le Conseil d’Etat a rejeté ce pourvoi.
Comme le rappelle le Conseil d’Etat, l’article 226-13 du Code Pénal dispose que :
« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
L’article 226-14 du même code ajoute que :
« L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ;
3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 du présent code, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ;
4° Aux professionnels de la santé ou de l’action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une ;
5° Au vétérinaire qui porte à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, à un acte de cruauté ou à une atteinte sexuelle sur un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-1 et toute information relative à des mauvais traitements sur un animal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel. Cette information ne lève pas l’obligation du vétérinaire sanitaire prévue à l’article L. 203-6 du code rural et de la pêche maritime.
Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ».
Selon le Conseil d’Etat, il résulte de ces dispositions que lorsqu’un médecin signale au Procureur de la République ou à la CRIP des faits laissant présumer qu’un mineur a subi des violences physiques, sexuelles ou psychiques et porte à cet effet à sa connaissance tous les éléments utiles qu’il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce jeune patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l’enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l’enfant soumis à son examen médical, sa responsabilité disciplinaire ne peut être engagée à raison d’un tel signalement, s’il a été effectué dans ces conditions, sauf à ce qu’il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi.
Or, en l’espèce, le signalement adressé par le psychiatre à la CRIP sur le fondement de l’article 226-14 du Code Pénal procédait des constatations qu’il avait effectuées en recevant en consultation la mineure et sa mère.
Toujours selon le Conseil d’Etat, le psychiatre a agi de bonne foi afin de protéger l’enfant.
Par conséquent, sa responsabilité disciplinaire n’est pas susceptible d’être engagée.