Affirmation du caractère autonome du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches ainsi que du préjudice d’angoisse de mort imminente
Par deux décisions en date du 25 mars 2022 (Cour de cassation, Chambre Mixte, 25 mars 2022, Pourvois n° 20-17072 et n°20-15624), la Chambre Mixte de la Cour de cassation est venue consacrer le caractère autonome du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches ainsi que du préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime directe.
- S’agissant du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches
Dans la première espèce, une femme est décédée au cours d’un attentat en 2016.
Sa fille et ses petites-filles ont alors sollicité l’indemnisation de leurs préjudices auprès du FGTI (Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions).
Ce dernier a formulé une offre d’indemnisation au titre notamment de leur préjudice d’affection et du « préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme ».
Estimant cette offre insuffisante, la fille et les petites-filles de la victime ont saisi la juridiction compétente.
Par arrêt en date du 30 janvier 2020, la Cour d’Appel de PARIS a notamment condamné le FGTI à verser la somme de 20 000 euros à la fille et 5.000 euros aux petites-filles de la victime au titre de leur « préjudice d’attente et d’inquiétude » et ce, en plus de l’indemnité déjà accordée au titre de leur préjudice d’affection.
Le FGTI s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son pourvoi, le FGTI s’oppose à l’indemnisation autonome du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches, en plus de leur préjudice d’affection.
En effet, le FGTI estime que « le préjudice d’affection indemnise l’ensemble des souffrances morales éprouvées par les proches à raison du fait dommageable subi par la victime directe, à l’origine de son décès ».
Allouer deux indemnités distinctes au titre du préjudice d’affection et du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches reviendrait, selon le FGTI, à indemniser deux fois le même poste de préjudice.
La Cour de cassation devait donc déterminer si le préjudice d’attente et d’inquiétude des proches est indépendant du préjudice d’affection.
Or, aux termes de l’arrêt précité en date du 25 mars 2022 (Cour de cassation, Chambre Mixte, 25 mars 2022, Pourvoi n° 20-17072), la Chambre Mixte de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du FGTI et confirmé la décision rendue par la Cour d’Appel de PARIS.
Comme le précise la Cour de cassation :
« Les proches d’une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve ou s’est trouvée exposée, à l’occasion d’un évènement, individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l’incertitude pesant sur son sort.
La souffrance, qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l’attente et de l’incertitude, est en soi constitutive d’un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l’évènement.
Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l’évènement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet évènement.
Il résulte de ce qui précède que le préjudice d’attente et d’inquiétude que subissent les victimes par ricochet ne se confond pas, ainsi que le retient exactement la cour d’appel, avec le préjudice d’affection, et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de façon autonome.
Il s’ensuit que c’est sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel a accueilli les demandes présentées au titre de ce préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude ».
La Cour de cassation consacre donc le caractère autonome du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches, lequel doit donner lieu à une indemnisation distincte du préjudice d’affection ou de tout autre poste de préjudice.
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- S’agissant du préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime directe
Dans la seconde espèce, un homme a été agressé, le 5 juillet 2014, à coups de couteaux et a succombé à ses blessures ultérieurement.
Sa femme, veuve, et ses ayants-droits ont alors saisi la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (la CIVI) afin de solliciter l’indemnisation de leurs préjudices.
Par arrêt en date du 29 août 2019, la Cour d’Appel de PAPEETE a notamment alloué aux ayants-droits deux indemnités distinctes ; l’une au titre des souffrances endurées par la victime avant son décès et l’autre au titre de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort imminente entre le moment de son agression et de son décès.
Le FGTI s’est alors pourvu en cassation à l’encontre de cette décision.
Aux termes de son pourvoi, le FGTI s’oppose à l’indemnisation autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime.
Selon lui, ce poste serait déjà indemnisé dans le cadre des indemnités allouées à la victime au titre de ses souffrances endurées.
Allouer deux indemnités distinctes au titre des souffrances endurées et du préjudice d’angoisse de mort imminente reviendrait, selon le FGTI, à indemniser deux fois le même poste de préjudice.
Toutefois, aux termes de l’arrêt précité en date du 25 mars 2022 (Cour de cassation, Chambre Mixte, 25 mars 2022, Pourvoi n°20-15624), la Chambre Mixte de la Cour de cassation a fait droit à l’argumentation développée par les victimes.
Comme le rappelle la Cour de cassation :
« L’arrêt, par motifs adoptés, après avoir constaté que les lésions consécutives à la multiplicité des plaies par arme blanche présentes sur le corps de la victime lui avaient causé une souffrance importante, énonce qu’il convient d’évaluer à 1.500.000 FCP l’indemnisation de l’indivision successorale au titre des souffrances endurées par la victime entre son agression et son décès.
Il précise que, pour caractériser l’existence d’un préjudice distinct « d’angoisse de mort imminente », il est nécessaire de démontrer l’état de la conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès.
Il retient que la nature et l’importance des blessures, rapportées au temps de survie de la victime, âgée de seulement vingt-sept ans, dont l’état de conscience a conduit sa famille à juger possible son transport en voiture légère jusqu’à l’hôpital, démontrent que [R] [X] a souffert d’un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive, et que le premier juge a procédé à sa juste évaluation.
C’est dès lors, sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse de mort imminente ».
La Cour de cassation consacre donc le caractère autonome du préjudice d’angoisse de morte imminente de la victime directe, lequel doit donner lieu à une indemnisation distincte des souffrances endurées.
Article rédigé avec la participation de Madame Bertille COUTELLE, stagiaire en M2 de Droit de la Santé.